Abu Dhabi a retrouvé son Festival du film (14-23 octobre) dans le cadre du faramineux The Emirates Palace, inimaginable bâtisse, insolite et ultra luxueuse, qui donne, à la fois, au cinéphile l'impression de pénétrer dans un décor de mégaproduction hollywoodienne à la Cécil B. de Mille. C'est donc un lieu de cinéma par excellence. Abu Dhabi (Emirats arabes unis) De notre envoyé spécial Dans la géographie festivalière, Abu Dhabi a mis l'Américain Peter Scarlet au poste de commande, lequel «executive» vient de New York et du Festival de Tribeca. Pour tenir le coup face aux autres festivals concurrents de la région du Golfe, Abu Dhabi a renforcé son programme avec 70 films de 28 pays. Pas encore une ONU cinématographique, mais tel n'est pas l'objectif essentiel ici. Ce qui compte, c'est de montrer un cinéma inédit et de qualité, identique à ce qu'Abu Dhabi cherche à encourager dans le cadre de son Fonds Sanad, qui témoigne des gros investissements d'Abu Dhabi dans le domaine de l'art et la culture. Sanad compte, chaque année, fournir une contribution importante à la production du cinéma dans tous les pays arabes, y compris l'Algérie. C'est un pari colossal de 500 000 dollars offerts, à partager entre les projets sélectionnés par Sanad.C'est un grand moment du Festival d'Abu Dhabi de voir, dans la pompe princière de The Emirates Palace, défiler les réalisateurs arabes lauréats dans un grand souffle de soulagement et de joie. Les bons projets primés par Sanad se succèdent, en effet, les uns après les autres, parmi lesquels des films déjà faits ou en cours de production. Et d'abord ceux de deux cinéastes algériens : Tariq Téguia pour son nouveau film Ibn Battuta et Karim Traïdia pour Chronique de mon village sur sa propre enfance pendant la guerre de libération. Aujourd'hui hors champ, mais pendant des années la star sex-symbol de Damas, Igraâ, est, dans Séduction, le film documentaire d'Omar Amiralaye. Igraâ, de son temps, a fait pâlir de jalousie toutes les stars égyptiennes réunies. Un autre grand cinéaste syrien, Mohamed Mallas, termine le troisième opus de sa trilogie : Si la lumière avait un œil pour voir, portrait historique de la Syrie dans la seconde moitié du XXe siècle. Raja Amari à «corps» et à cris La très douée réalisatrice tunisienne, Raja Amari, qui a fait Satin Rouge, le film le plus moderne du cinéma tunisien, le plus beau aussi, tourné à Paris une coproduction Sanad-Dora Bouchoucha : Corps étranger, l'histoire de Samira, belle et sans papiers, employée dans une famille française dont elle va provoquer d'imprévisibles et dramatiques changements dans les relations. A Abu Dhabi, d'autres lauréats de Sanad sautillent de joie à l'idée que leurs tracas de production ou de post-production sont derrière eux. En particulier, le Marocain Faouzi Bensaïdi, qui tourne Mort à vendre, le Palestinien Sobhi Al Zobeidi, proche de Rachid Masharawi, qui fait Via Dolorosa sur l'univers des prisons. Sauf que la prison israélienne est devenue, après les accords d'Oslo, une prison palestinienne. C'est l'histoire cruelle d'une femme qui va voir son mari prisonnier des Israéliens et retourne, quelque temps plus tard, dans le même sinistre endroit pour rendre visite à son fils détenu par ses frères palestiniens. Dans Les Derniers Jours de la Cité, le cinéaste égyptien,Tamer Al Saïd, compte entraîner le spectateur, selon ses propres mots, dans «la violence, l'extrémisme et l'horreur du Caire» (les Verts s'en souviennent encore). Tandis que OK, Enough, Goodbye du duo libanais Ghanieh Attia-Daniel Garcia a pour sujet la mémoire, les aventures et les mésaventures de Tripoli, la seconde ville du Liban. Ainsi, mis à part le fait de voir débarquer des films récents du monde, ceux de Abbas Kiarostami, Patricio Guzman, François Ozon et beaucoup d'autres inédits, Abu Dhabi est l'exemple rarissime dans le monde arabe d'un festival qui fait concrètement décoller des productions arabes, des projets méritants qui vivotaient encore sans le moindre espoir pour les auteurs, lesquels, soudain, tombent ici sur une fondation princière prête à «casquer» 500 000 dollars, sans douleur et sans regret, pour leurs beaux yeux et surtout pour leur talent.