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«Le Maghreb a adopté des solutions sécuritaires»
Mohamed Saïb Musette. Chercheur au Cread et coordinateur scientifique du symposium
Publié dans El Watan le 21 - 10 - 2010

S'il est admis que les conditions sociales et politiques poussent beaucoup d'Africains à fuir leur pays vers «un eldorado» européen, il reste que la misère n'explique pas tout dans ce phénomène qui s'est révélé dramatique, nous explique le chercheur Mohamed Saïb Musette.
-Le phénomène de migration, régulière et irrégulière, prend des proportions inquiétantes. Comment expliquer que des gens du sud de la Méditerranée quittent leur pays au péril de leur vie ?
C'est l'un des objectifs de ce symposium du Cread. A-t-on avancé dans la connaissance de la migration internationale ? Quelques interventions vont examiner les facteurs explicatifs de la migration internationale. On va aussi savoir si ce phénomène a réellement atteint des «proportions inquiétantes», et pour qui notamment.
A priori, on peut penser que la migration «régulière» n'est pas un problème réel, puisque cette forme bénéficie de toute une couverture juridique. De nos jours, les peuples des pays du Sud sont confrontés à un véritable problème de mobilité tout court. Exception faite des bi-résidents et des «talents globaux», la migration irrégulière relève aujourd'hui d'une prouesse pour la majeure partie des populations africaines, notamment hors du continent.
C'est vrai que la migration «irrégulière» pose un problème de société, surtout quand il y a des risques de mort. Il est vrai aussi qu'on recueille régulièrement des cadavres sur les rives de la Méditerranée, tout comme dans le désert.
Il y a plusieurs explications à cet épiphénomène. Pour les «gens du Sud», la proximité géographique du Maghreb avec l'Europe est le premier facteur de décision, après avoir épuisé parfois tous les moyens pour une migration régulière. Puis il y a l'attractivité des pays de la rive nord qui offrent des possibilités «réelles ou fictives pour mieux vivre», attractivité renforcée par les médias. Ensuite, il y a des «réseaux» qui activent, avec une certaine facilité pour certains, pour vendre et entretenir cette illusion de mieux-être.
-Comment peut-on analyser cette envie de «partir» à tout prix ? La vie dans les pays du Sud devient-elle impossible ?
Le désir ou l'envie de partir est surtout assez fort chez les populations juvéniles. Mais très peu de jeunes prennent la décision de partir. Entre le désir et la décision de partir, il y a aussi une question de droit de «quitter» son pays. Ce droit est reconnu par tous les pays du monde, il est inscrit dans les textes des droits de l'homme. La décision de partir ne se résume pas à la «vie impossible» dans nos pays. Si tel était le cas, tous les Africains seraient déjà hors du continent. Pour certaines catégories de la population, la vie devient de plus en plus difficile, mais là aussi, il ne faut pas croire que c'est la misère qui pousse les jeunes à partir «à tout prix». J'ai déjà évoqué quelques éléments explicatifs. On peut ajouter que plus les mesures restrictives au départ durcissent, plus fort est l'envie de les transcender. Les jeunes sont réputés pour leur témérité, relever les défis est une attitude souvent constatée chez eux
-Quelles sont les catégories sociales qui immigrent ?
Comme je l'ai mentionné plus haut, ce sont surtout les jeunes, notamment ceux qui n'ont pas encore fondé une famille. Mais là aussi, même si le désir et le rêve d'un ailleurs existent, ce ne sont pas tous les jeunes qui prennent la décision de partir. Deux catégories sociales, apparemment, opposées, sont présentes parmi les migrants. Il y a les jeunes «exclus», bloqués dans une situation sociale, ils ne voient aucun avenir en restant au pays. Puis, il y a une autre catégorie, celle des classes moyennes qui sont en chute libre dans nos sociétés. Ils ne sont pas pauvres, certains sont même «diplômés», mais le risque d'une mort sociale lente semble «invivable» même au sein de la famille.
-Les Etats ne semblent pas prendre suffisamment conscience de ce drame au regard des réponses qu'ils tentent d'apporter, des réponses beaucoup plus sécuritaires. Qu'en pensez-vous ?
Les réponses apportées par les Etats varient d'un pays à un autre. Les pays du Maghreb ont adopté des solutions sécuritaires suite aux insistances de l'Europe. Mais il ne faut plus voir la migration strictement des pays du Sud vers les économies du Nord. Lors de ce symposium, nous allons aborder les questions liées aux politiques migratoires de certains pays. Pour certains, la migration régulière commence à s'organiser. La migration intracontinentale, qui touche plus de 10 millions d'Africains, n'est pas du reste. C'est ce changement de vision qui nous intéresse le plus. L'Afrique possède-t-elle les moyens d'organiser et d'encourager la migration régulière sur le continent ?
-Les pays du Sud, africains notamment, souffrent gravement d'un autre type de migration, qui est celle qu'on appelle communément «fuite des cerveaux». Quel impact a cette migration sur le développement des sociétés du Sud ?
La question de «fuite des cerveaux» sera aussi abordée lors de notre symposium. C'est une question complexe, car les «cerveaux» ne sont souvent reconnus qu'une fois qu'ils ont traversé les frontières du Sud. Plusieurs thèses sont avancées sur le phénomène, dit aussi «mobilité des compétences». Disons en deux mots, qu'il existe un marché mondial des compétences qui défient les intérêts des Etats, qui n'obéit qu'à la logique des plus puissants.
Ce n'est pas un jeu à somme nulle. C'est un jeu inégal entre les pays du Sud et les pays du Nord. La pseudo théorie des migrations circulaires, devant être fondée sur le principe «gagnant gagnant», oublie l'essentiel : l'être social ne peut être emprisonné dans les logiques politiques. Le social finit toujours par s'imposer.Lors du symposium, nous aurons une idée sur l'impact de cette «fuite», si toutefois on aura pu le mesurer scientifiquement.
L'affrontement des écoles peut être fécond. Des expériences ont démontré que la mobilité des compétences, lorsqu'elle est organisée, peut constituer un atout majeur pour les pays. Sans organisation préalable, elle offre «gratuitement» ses compétences aux puissances du marché, sans aucune contrepartie, avec des coûts supportés par les contribuables. Le capital humain africain est très prisé sur le marché mondial, il a une forte employabilité.


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