Une fois de plus, l'université algérienne vient d'être traitée en parent pauvre dans le concert des nations en matière de qualité d'enseignement et de recherche scientifique. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que notre pays se trouve ainsi classé au plus bas de l'échelle des valeurs scientifiques. Depuis environ quatre ans, je n'ai cesse de faire paraître des articles sur cette dégringolade de notre université en vue d'alerter les autorités de tutelle sur la gravité de cette régression continue, que vient d'ailleurs de confirmer de manière éclatante le dernier classement mondial des universités établi par des organismes internationaux dont le sérieux ne saurait être révoqué en doute. Le dernier classement international effectué à l'initiative de l'Espagne corrobore de manière irréfutable cette tendance à la baisse constante de la qualité de l'enseignement et de la recherche en Algérie et porte un démenti cinglant aux déclarations triomphalistes, et sans cesse réitérées, de notre tutelle qui, à la manière de l'autruche, préfère enfoncer sa tête dans le sable, plutôt que voir la réalité en face. La triste réalité des universités algériennes exprimée en chiffres... Les critères par lesquels se mesurent la qualité et les performances d'un établissement scientifique sont nombreux, et parmi ceux-ci, il faut retenir au moins trois : un encadrement de haut niveau scientifique (qualité élevée des connaissances dispensées) ; des publications scientifiques de bonne facture et obéissant aux règles standard internationales ; des séminaires permanents destinés aux étudiants en thèses pour leur permettre de s'initier aux méthodes de la recherche, d'apprendre à débattre et à défendre leurs idées tout en exposant leurs approches scientifiques, etc. On peut ajouter d'autres critères aussi déterminants : la compétence et la disponibilité des enseignants-chercheurs, les supports pédagogiques dont ils disposent, l'existence d'une documentation bien fournie et répondant aux besoins et aux attentes aussi bien des enseignants que des étudiants, des bibliothécaires bien formés, et non des dilettantes, comme il en existe partout dans nos bibliothèques universitaires par ailleurs mal achalandées. Qu'en est-il justement de ces critères ? Force est de constater qu'ils ne sont point réunis, et ce n'est pas notre tutelle, qui verse dans un optimisme béat, qui va nous prouver le contraire. Ce sont justement les défauts flagrants de ces critères qui condamnent nos universités à végéter dans une position défavorable au point qu'elles paraissent aux yeux des nations comme une sorte de repoussoir, l'envers négatif de leurs pareilles dans le monde. Voici, à titre de comparaison, quelques chiffres qui suscitent l'effroi : trois universités algériennes sont classées à la queue du classement mondial : l'université Ferhat Abbas de Sétif est classée 100e, soit la dernière du monde arabe, et au niveau mondial elle se situe au 6993e rang ; l'université Abou Bakr Belkaïd est classée 28e au niveau arabe, tandis qu'au niveau mondial elle se place au 6265e rang. Quant à l'université d'Alger, elle occupe la position 80e au niveau arabe et la position 6275 au niveau mondial. Celle de Constantine occupe la position 36e au niveau arabe, suivie par celle de Batna occupant la position 51e. Ces données comparatives témoignent de la faillite de nos universités qui, pourtant, bénéficient d'immenses largesses financières de l'Etat, largesses qui devraient en principe leur permettre de produire la qualité, et non la quantité «jetable». Un tableau sombre de l'enseignement et de la recherche scientifique en Algérie Depuis un peu plus d'une décennie, tous les classements et tous les rapports internationaux concordent : l'Algérie est le pays où la qualité de l'enseignement et de la recherche est des plus médiocres. Après avoir été longtemps la pointe avancée de l'Afrique en ce domaine, notre pays en vient, progressivement, à se placer le dernier de la queue, loin derrière l'Ouganda dont l'Université Makerere de Kamapala est classée 30e, sans parler des universités sud-africaines, et parmi ces dernières, celle de Cape Town, qui vient d'être classée, par les diverses évaluations convergentes, la meilleure de l'Afrique. Qu'il suffise en effet de parcourir certains sites, comme celui de l'Internationale des Collèges et Universités (voir 4icu.org) pour prendre la mesure de notre régression... Lorsque l'USTHB de Bab Ezzouar, réputée être le fleuron de notre système universitaire se trouve classée 54e en Afrique, l'on se demande où est la qualité ou l'excellence que la tutelle s'efforce de faire accréditer dans les esprits. L'Université d'Alger qui fut à l'époque coloniale, et jusqu'aux années 1970, l'une des meilleures universités d'Afrique, se trouve aujourd'hui parmi les plus mauvaises du Maghreb et de l'Afrique Noire : Elle se voit affecter la 68e place dans le continent africain ! Dans ces divers classements internationaux qui se recoupent, se complètent et se concordent, aucun de nos établissements scientifiques (universités et instituts) n'a été retenu parmi les 2149 universités du monde ayant réalisé plus de cent articles chacune dans des publications scientifiques indexées sur le plan mondial, et cette absence est en elle-même révélatrice de notre patente défaite scientifique... Faut-il rappeler par ailleurs que l'université des sciences islamiques Emir Abdelkader et celle de Jijel figurent parmi les cinq les plus médiocres du continent africain ? Mais ce n'est pas tout : le tableau s'assombrit encore plus si l'on regarde du côté utilisation des NTIC : là encore, notre pays fait figure de parent pauvre. Il en est pratiquement le dernier, et ne tient même pas la comparaison avec des pays bien plus «sous-développés» économiquement que nous : le Ghana, le Mozambique, le minuscule Botswana (Afrique australe), l'Ethiopie, la Tunisie, Le Maroc, l'Egypte, etc., qui nous devancent bien loin en matière d'utilisation de cette nouvelle technologie. Le destin incertain des diplômés «LMD» L'on se demande comment un pays riche, comme le nôtre, administré par un gouvernement volontariste, qui ne lésine pas sur les moyens pour impulser l'enseignement et la recherche scientifique, en arrive à favoriser le quantitatif sur le qualitatif au point de faire de l'université le lieu de la production d'une médiocrité exubérante, qui fait de nous la risée des peuples et des nations inventives ? La réponse à cette question est simple et réside en ceci : dans la mauvaise gestion scientifique qui se double d'une vision purement bureaucratique et instrumentale de la recherche. La politisation de celle-ci, puis l'asservissement de l'enseignant-chercheur par le bureaucrate/administratif qui n'entend rien à la notion de la science, à son utilité sociale, est l'une des causes essentielles de la banqueroute de l'université, qui devient le réceptacle de tous les naufragés de l'enseignement primaire et secondaire. Les «réussites» anormalement élevées au baccalauréat que l'université capte en aval masquent en vérité une absence de stratégie scientifique cohérente. L'absence de celle-ci rend hypothétique l'avenir des milliers de diplômés sortant chaque année. La gestion scientifique actuelle, conduite de manière improvisée et brouillonne, n'est pas susceptible de garantir aux diplômés des diverses filières d'enseignement (lycées, instituts, universités...) les diplômes de qualité qui leur permettent de s'insérer dans le marché national, dont les débouchés se réduisent en une peau de chagrin, et moins encore dans le marché mondial où la compétition se fait âpre, où seuls les meilleurs peuvent espérer trouver leur place. Nos nouveaux diplômés «LMD» sont de véritables «produits jetables» et ne pourront jamais faire valoir leurs diplômes ou «se vendre» dans le marché local déjà saturé, et seuls les quelques «pistonnés » ou les rares «chanceux» pourront y trouver acquéreur. Les dangers à venir et les moyens de les conjurer L'insertion de ces diplômés dévalués devrait interpeller non pas seulement la tutelle, mais toutes les instances de l'Etat. Car, il y va de la paix civile et de la sécurité publique. On ne peut pas former à «la pelle» des milliers de diplômés et les lâcher ensuite dans la nature, sans se soucier de leur intégration professionnelle, sans laquelle on pourrait encourir le risque d'explosions imprévues, soudaines et incontrôlables... L'accroissement démographique et le rétrécissement du marché de l'emploi qui réduit de plus en plus les chances de la mobilité professionnelle pourraient favoriser l'accumulation de tous les ingrédients des révoltes à venir, et dont les émeutes urbaines, ces dernières années, ont donné déjà les signes avant-coureurs. Le sentiment, partout ressenti, de l'absence d'une justice qui tranche avec équité les litiges entre les citoyens, joint au sentiment que les auteurs des crimes et des délits de corruption demeurent impunis du fait qu'ils seraient protégés en haut lieu, conjuguent leurs effets pour accroître le volume des mécontentements et des frustrations qui ne pourraient indéfiniment se contenir sans se décharger, telles des conflagrations subites. La foule ne raisonne pas. Elle agit et réagit à la manière d'une force aveugle, et la simple suggestion de quelques hallucinés la mettrait dans un état second. C'est pourquoi il est temps que nos dirigeants, à quelque secteur qu'ils appartiennent, sachent que les temps ont changé et que gérer un pays aussi grand comme le nôtre requiert désormais plus d'intelligence et d'imagination que d'autoritarisme de mauvais aloi... La valeur d'échange et d'usage du LMD «algérien» Sa valeur d'usage est donc nulle à l'étranger. En Algérie, sa valeur d'échange comme sa valeur d'usage relève du domaine purement «symbolique». Car, ce diplôme «LMD» tel qu'on l'a recopié, mais mal, ressemble à notre «monnaie de singe», le dinar. Comme le dinar, il est par anticipation dévalué et ne tient la parité avec aucun diplôme étranger. Ce n'est pas en substituant au diplôme «classique» la nouvelle dénomination «LMD» qu'on en arrive à changer le fond, qui reste identique, sinon pire encore. Tel qu'il a été plutôt envisagé que conçu, notre LMD joue plus «sur le temps» qui se trouve raccourci d'une année (trois au lieu de quatre pour l'ancien système) plus que sur la qualité qui suppose des compétences et des supports pédagogiques équivalents à ceux de l'Europe qui a «enfanté» ce diplôme dans le cadre d'une politique européenne concertée et cohérente, sachant exactement où elle va et dans quel but elle a opté pour ce nouveau système. Comment peut-il être «tuteur» dans une université algérienne lorsque l'enseignant ne dispose ni de bureau, ni d'ordinateur, ni de téléphone et fax, ni de documentation réactualisée, ni d'Internet, ni la moindre ou presque indépendance vis-à-vis de l'administration qui lui édicte sa conception de la «pédagogie» et de la conduite scientifique qu'il devrait suivre ? Comment oser parler d'«excellence» et de qualité de l'enseignement et de la recherche quand la plupart des enseignants sont mal logés et mal rémunérés ? Je ne parle pas de ces enseignants franchement médiocres, notamment ceux - venus naguère des collèges et des lycées - pour combler les déficits d'encadrement au sein de l'université, mais qui ont fini par transformer l'esprit universitaire en un esprit de collégien... Avec leur esprit «scolaire» et leurs réflexes autoritaire, du type «Monsieur l'Inspecteur du Lycée», ces enseignants se montrent rétifs non seulement au débat d'idées, mais aussi aux méthodes et aux approches scientifiques qui sont la condition sine qua non de la transmission du savoir et de l'apprentissage scientifique. La panique de la tutelle et ses risibles réactions devant l' «humiliation» subie Devant ces chiffres qui montrent nos universités à la traîne de leurs homologues de par le monde, notre MESRS panique et s'emporte. Je lis avec étonnement dans le quotidien arabophone EChourouk daté du 5 octobre 2010 (p.7) que M. le ministre Rachid Haraoubia a dépêché un émissaire spécial à Londres où se déroule actuellement, sous l'égide de l'Espagne, le classement international des universités, dans le but de plaider contre la «note» lamentable attribuée aux universités algériennes et laver l'«humiliation» (al ihânâ) qui leur a été infligée ! Mais s'est-on demandé si cette «humiliation», réelle ou supposée, n'était pas imputable justement à nos propres faiblesses et donc à notre propre incapacité à donner à l'enseignement et à la recherche leurs lettres de noblesse ? On n'est jamais «humilié» que par soi-même, et les hommes et les nations qui se respectent réellement ne prêtent jamais le flanc à la risée du monde. On ne devient en fait «tête de Turc» que lorsque on a perdu toute force réactive en affichant son caractère faible et pusillanime devant autrui... Le désarroi de nos experts face aux imprévus Dans ces conditions, pourquoi envoyer un émissaire et que peut-il faire au juste pour effacer cet «affront » infligé à l'université algérienne ? N'est-il pas comique d'agir de la sorte ? N'est-il pas une manière de s'humilier encore plus en demandant aux experts internationaux de «rendre compte» de leurs méthodes de classement, et les persuader de l'inanité de la note attribuée à l'Algérie ? Mais par quels moyens et avec quels arguments «scientifiques» un émissaire du MESRS, fût-il hautement qualifié, va-t-i1 prouver à des experts internationaux que leur classement ne résisterait pas à l'analyse des faits constatés ? Ce type d'initiative ne reflète-t-i1 pas le désarroi de notre tutelle ? Ne témoigne-t-i1 pas aussi de son incapacité notoire à saisir les codes et les règles internationales en matière d'enquêtes et d'évaluations scientifiques basées sur des critères et des normes communément admises par les instances internationales dûment habilitées ? Fallait-il attendre que les autres classent nos universités pour nous réveiller en sursaut de notre sommeil léthargique ? Ne fallait-il pas y penser plus tôt ? Je suis d'autant plus estomaqué par une telle initiative peu diplomatique de la part de notre tutelle que je me demande, à la fois honteux et perplexe, si notre pays est bien représenté «scientifiquement» par le MESRS au regard du monde extérieur... Rien de plus cocasse, rien de plus risible en effet, que cette initiative inopportune... Cela n'est pas sans rappeler la malencontreuse initiative qui a fondé la honteuse circulaire promulguée le 18 juin 2010 et visant à limiter la mobilité des chercheurs algériens... Les discours et les actes du MESRS aux prises avec le réel A la suite de cette révélation scandaleuse, le MESRS, comme pour «corriger» ce classement international et effacer comme par enchantement la tache noire collée à la peau de nos universités, s'est empressé d'annoncer l'institution en quelques heures, et de manière hâtive, improvisée, un dispositif d'évaluation de 1'«excellence» qui sera présidé conjointement par deux comités ministériels, institués également à cet effet. Comme si l'évaluation, la qualité et l'excellence pouvaient se décréter ! C'est oublier que celles-ci ne ressortent pas du domaine des «ordonnances» et des vœux pieux, mais des efforts intellectuels et d'élaborations scientifiques matérialisés sur le terrain et inscrits non dans le conjoncturel, mais dans la durée. Il aurait fallu songer à la qualité de l'enseignement et de la recherche, à leur évaluation avant même que notre université ne devînt l'objet d'évaluation de la part de l'Autre, l'étranger. Là encore, notre tutelle pèche par excès d'imprévoyance, de manque d'anticipation et de vision lucide de l'avenir. Il est bien navrant en effet de voir des potentialités et des compétences nationales de grande valeur sacrifiées à la bêtise monumentale de certains de nos gestionnaires si insouciants et si égoïstes qu'ils font passer leurs intérêts mesquins avant l'intérêt du pays... Il est par ailleurs scandaleux de voir certains chefs d'établissement faire des obstructions multiples aux chercheurs et aux enseignants désireux réellement de s'investir au service de leur université, sans que la tutelle n'intervienne pour mettre le holà à ce type de comportement. On ne peut pas, d'un côté, déclamer qu'on encourage la recherche et l'excellence, et de l'autre côté on laisse les coudées franches à certains chefs d'établissement pour se comporter comme bon leur semble, tout en mettant des entraves multiples à l'esprit d'initiative et à la liberté académique, qui sont deux vertus essentielles pour le progrès scientifique...