En mai dernier, à l'ouverture d'une conférence consacrée au bilan des 50 ans d'indépendance africaine, en présence des dignitaires locaux et étrangers rassemblés dans la capitale du Cameroun, la vice-secrétaire générale de l'ONU relevait que «tout en célébrant les succès, les opportunités et le potentiel de l'Afrique, nous devons aussi nous pencher sur les réalités et les défis auxquels est confronté le continent». Trop de bébés continuent à mourir en bas âge, trop peu d'enfants trouvent une place à l'école, trop d'agriculteurs ne parviennent pas à apporter leurs récoltes jusqu'au marché et trop d'usines sont immobilisées faute de pièces de rechange, de main-d'œuvre qualifiée ou d'investissement, a-t-elle alors expliqué.Ce bilan en demi-teinte est symbolique des réactions que l'événement a inspirées à travers le continent. Les dirigeants africains eux-mêmes ont reconnu certains problèmes. En 1960, 17 pays africains, principalement des ex-colonies françaises dont le Cameroun, mais aussi du Nigeria, de la Somalie et de la République démocratique du Congo (RDC) ont accédé à l'indépendance. Indépendance inachevée Pour Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l'ONU, l'accession à l'indépendance a provoqué une réorientation fondamentale des pays africains. «Libérés du contrôle des capitales européennes, ils ont cherché leurs propres méthodes de gouvernement, leurs propres orientations politiques et forgé leurs identités nationales. Un grand nombre de ces pays ont fait d'énormes efforts pour développer des économies fonctionnelles et des systèmes politiques qui donnent la priorité aux besoins de leurs propres citoyens, plutôt qu'à ceux de consommateurs éloignés.» Beaucoup ont cependant remis en question la portée de ces changements. La plupart des économies africaines dépendent toujours des financements extérieurs et des revenus des matières premières. Les rapports commerciaux restent ceux développés pendant la période coloniale. «Formellement, les Etats (africains) ont accédé à la souveraineté internationale en 1960», analysait l'historien sénégalais lbrahima Thioub dans le quotidien français Le Monde. «Mais ce changement juridique ne signifie pas la fin de la colonisation, c'est-à-dire d'une exploitation économique doublée d'une soumission à une autre culture». Le président sénégalais Abdoulaye a parlé d'une «indépendance inachevée». Selon le philosophe Kä Mana, l'indépendance n'a pas marqué une vraie rupture pour les populations du Congo (ex-Zaïre). Le pouvoir colonial belge était synonyme de violence, le nouvel Etat congolais aussi. Depuis l'assassinat en 1961 de Patrice Lumumba, Premier ministre visionnaire, des années de dictature et deux guerres civiles qui ont causé plusieurs millions de victimes, le peuple congolais n'a guère connu la paix. C'est «la violence qui a dominé les cinq décennies de notre indépendance». Gouvernance améliorée Ailleurs en Afrique, troubles politiques, guerres, régimes autoritaires civils ou militaires se sont succédé également. Au début des années 1990, lorsque le continent a été balayé par les mouvements en faveur de la démocratie, beaucoup ont parlé de luttes pour la «seconde indépendance».Depuis lors, la plupart des pays africains ont adopté le multipartisme et la voie des élections. Pour beaucoup, cette évolution est un des succès les plus notables des 50 dernières années. Cependant, des intellectuels africains estiment que ces récentes évolutions démocratiques concernent davantage la forme plutôt que le fond. Pour Achille Mbembé, universitaire camerounais réputé : «Dans la plupart des cas, les Africains ne sont toujours pas à même de choisir librement leurs dirigeants. Trop de pays sont toujours à la merci de satrapes dont l'unique objectif est de rester au pouvoir à vie.» M. Annan indique de son côté que malgré les progrès, «il y a encore un long chemin à parcourir. Il y a encore trop de cas de corruption, d'accaparement des ressources par les élites, d'inégalités croissantes de richesses et de chances de promotion sociale, de fraudes électorales et d'adhésion sélective au principe de l'état de droit.» L'amélioration de la gouvernance est, selon lui, la mesure la plus cruciale pour faire avancer la situation sur le continent. Progrès et potentiel La plupart des commentateurs notent les progrès réalisés, en dépit d'un environnement international défavorable. Jean Ping, le président de la Commission de l'Union africaine, se déclare «résolument optimiste». Après tout, a-t-il fait remarquer, 50 ans «c'est à la fois beaucoup et peu», et il a fallu à d'autres pays et d'autres régions bien plus longtemps après leur indépendance pour obtenir des résultats tangibles. Les statistiques démontrent que l'Afrique n'a pas stagné : en 1960, l'espérance de vie atteignait à peine 42 ans. En 2007, elle avait progressé à 55 ans malgré les ravages récents du sida. La mortalité infantile est passée de 153 décès pour 1000 naissances à 82. En 1960, peu d'enfants africains allaient à l'école. Des efforts ont été faits dans l'éducation malgré les dures contraintes financières des années 1980 et 1990. Grâce à l'initiative «Education pour tous», le taux de scolarisation dans le primaire est passé de 58% en 1991 à 77% en 2006 et le taux d'inscriptions à l'université a doublé. Ces améliorations sont significatives au vu de la très forte progression qu'a connue la population africaine. Les femmes doivent obtenir une place plus centrale, plaide Mme Amina Hassane Wangari du Niger, présidente du West Africa Businesswomen's Network. Les femmes sont au cœur du développement du continent et peuvent être, selon elle, au cœur de la démocratie africaine si elles parviennent à des postes de responsabilité plus importants. «L'Afrique a un potentiel illimité», conclut Mme Migiro. En plus de ses populations jeunes et talentueuses, elle possède des richesses minières immenses, 40% du potentiel hydroélectrique non exploité dans le monde et de «vastes ressources géothermales et solaires inexploitées».En raison de sa richesse, l'Afrique a vu son importance géostratégique augmenter sur la scène mondiale, souligne enfin M. Annan. «Avec un quart des Etats de la planète et un milliard d'habitants, a indiqué M. Annan, l'Afrique est un géant endormi qui s'apprête à s'éveiller.» Note aux éditeurs : Il y a 50 ans, en l'espace d'une seule année (1960), 17 pays africains accèdent à l'indépendance. D'autres vont suivre. Un demi-siècle plus tard, Afrique Renouveau donne la parole aux leaders d'Afrique et aux officiels de l'ONU, pour un inventaire.