Sous le grand chapiteau installé près du stade du 5 Juillet, les visiteurs sont nombreux à flâner dans les allées du Salon international du livre d'Alger. Même si les ouvrages exposés lors de cette édition ont été exonérés de taxes, l'enthousiasme et la curiosité des visiteurs est vite rattrapée par la réalité des prix. Le stand de la Suisse, invitée d'honneur de cette 15e édition, permet de dénicher quelques pépites de la littérature helvétique ainsi que des ouvrages portant sur des questions aussi pointues telles que l'urbanisme, l'exégèse des religions ou l'amiante. Il y a deux ans, les autorités algériennes avaient séquestré des livres de la sélection suisse qu'elles jugeaient «non-conformes». Jean Richard, directeur des éditions d'En bas, ainsi que des autres éditeurs avaient alors décidé de boycotter le Salon. Cette année, les autorités algériennes semblent avoir rangé leurs ciseaux, mais l'éditeur craint encore que les ouvrages traitant des questions de la religion et de l'islamisme ne soient mis sous le boisseau. Le Salon du livre reste, pour notre interlocuteur, «une occasion unique pour la Suisse de faire connaître ses auteurs et éditeurs». Pour Jean Richard, il y a, en Algérie, «un public curieux, intéressé, mais frustré». Aussi, a-t-il décidé cette année de revoir les tarifs pour permettre au plus grand nombre de s'ouvrir sur la culture helvétique. «J'ai voulu que les prix soient accessibles pour le public algérien. Je suis déjà venu en 2008 et j'ai vu à quel point les gens étaient frustrés de ne pas pouvoir s'offrir les livres dont ils avaient envie», explique-t-il. Les livres vendus à 20 euros en Suisse sont cédés à 1100 DA à Alger. Jean Richard est l'un des initiateurs du «livre équitable» permettant aux pays du tiers monde d'accéder à la culture et au savoir. L'alliance des éditeurs indépendants travaille à rendre le livre accessible à tous, en réalisant des coéditions «Nord-Sud». Les éditions Barzakh se sont lancées dans l'aventure avec la publication, entre autres titres, de Kaveena du Dakarois Boubacar Boris Diop. Le roman est disponible à 400 DA au Salon du livre. Le représentant des éditeurs suisses au Salon d'Alger, Jean Richard, dit avoir observé que les livres — notamment scientifiques — ont 10 à 20 lecteurs dans les pays africains alors qu'il n'en ont qu'un seul en Occident. Et d'asséner, provocant : «Si j'étais vous, j'aurais recours au piratage dans la mesure où on rend le livre inaccessible». Parmi les 800 titres proposés par les éditeurs suisses, les visiteurs peuvent se laisser surprendre par certains ouvrages, à l'exemple d'un livre retraçant le parcours d'Henri Cornaz (1920-2008), imprimeur, éditeur, militant politique, dans lequel figurent quelques extraits du journal Résistance algérienne de l'année 1957. Il est également possible de plonger, pour 1540 DA, dans l'univers de Christian Leconte, journaliste et romancier, et de son roman L'interdite d'Alger. Un livre qui, selon la description de son éditeur, est «illuminé par un soleil âpre et doux d'une Algérie livrée à ses démons et bercée par le spleen». Des livres bloqués au port Les éditions Gallimard ont choisi de mettre en avant Algérie 1954-1962 de Benjamin Stora et Tramor Quemeneur. Ce «roman historique», à 3400 DA, rassemble toutes les mémoires des combats ayant lieu lors de la guerre de libération du pays : pieds-noirs, appelés, nationalistes du FLN et du MNA, partisans de l'Algérie française, opposants à la guerre, harkis. Les étals des célèbres éditions françaises, dédiés à la littérature, restent néanmoins désespérément vides. Mis à part quelques exemplaires de Ruffin, Beigbeder et Albert Cohen, le visiteur avide de nouveautés restera sur sa faim. La représentante de la maison Gallimard et Folio explique qu'une grande partie de la «marchandise» a été bloquée au Port d'Alger. Le couac n'est guère lié à un problème politique, explique-t-elle, mais juste un souci d'organisation. Elle promet que tout rentrera dans l'ordre très prochainement et que les visiteurs pourront apprécier les nouveautés littéraires, y compris les auteurs nommés aux concours Renaudot et Goncourt. Et les prix ? «Tout est en promotion !», dit-elle. Pour le reste, les éditions Hachette présentent encore les grands classiques de la littérature française de Balzac à Maupassant en passant par Hugo et Diderot. Au stand de la Bibliothèque nationale, il est possible de découvrir quelques-uns des ouvrages édités à l'occasion de l'Année de la culture arabe. Les prix sont intéressants : une Autobiographie d'Ibn Khaldoun est proposée à 1500 DA, un ouvrage sur les «boukalate» est cédé à 500 DA et une étude sur les chaussures traditionnelles algériennes est vendue à 200 DA. Les dictionnaires Oxford sont, par ailleurs, accessibles à partir de 1000 DA. Il reste que les visiteurs algériens réfléchissent à deux fois avant d'acheter un livre. «J'ai trouvé un livre intéressant sur le droit de la propriété intellectuelle, mais le prix affiché, qui était en promotion, m'a quelque peu refroidie. Je reviendrai certainement demain ou après-demain», nous explique une jeune avocate. D'autres considèrent que le Salon manque cruellement de nouveautés et de titres qui font rage sur les scènes littéraires internationales. «J'ai fait le tour du Salon à la recherche du dernier Mondiano, il est introuvable. Par contre, il y a toujours les mêmes classiques cédés à des prix excessifs», se plaint un autre visiteur. Et comme chaque année, les stands consacrés aux livres religieux sont difficiles d'accès tant un nombre impressionnant de visiteurs s'y pressent.