C'est par excellence le rendez-vous des opérateurs nationaux du livre. Des millions d'ouvrages, des centaines de maisons d'édition locales et étrangères rencontrent des centaines de milliers de visiteurs et d'acheteurs assidus. Mais sous l'argument culturel est apparu un business des plus florissants. Le Salon international du livre d'Alger (Sila) qui est à l'origine une manifestation à caractère culturel et intellectuel, destinée au grand public, mais surtout aux professionnels du livre, s'est au fil des années transformé en un business très juteux. Profitant d'une couverture médiatique systématique, certains participants ont déniché le filon qui leur a permis de “détourner” le salon de sa vocation première, le transformant ainsi en foire. Et même s'il est inscrit “exposant” sur leurs badges, ils sont nombreux à “bourrer” leurs stands au point qu'on se croirait dans une grande braderie ou encore à un vide-grenier. L'exposition se change alors en grand déballage. Des étals surchargés, des étagères pleines à craquer, des cartons empilés dans de minuscules stands et des déchets d'emballage à ne plus savoir quoi en faire. Ainsi, certains libraires algériens, au lieu de profiter de cette rencontre pour prendre des contacts avec des éditeurs et passer des commandes ensuite, préfèrent se fournir en grande quantité. C'est pour eux l'occasion d'effectuer leurs approvisionnements pour l'année. Cette manœuvre est d'autant plus lucrative que les livres exposés à l'occasion du Sila bénéficient d'une exonération de taxes douanières. C'est pourquoi il n'est pas rare de croiser des clients qui sortent avec des caddies débordant de livres qu'ils chargeront dans des camionnettes. Cette marchandise hors taxe, se retrouve non pas dans les librairies, mais le plus souvent aux abords des mosquées ou encore étalée à même le sol dans les marchés, sur tout le territoire national. Les “businessmen du livre” utilisent le Sila de trois façons. Il y a d'abord certains libraires nationaux qui profitent de l'occasion pour exposer leurs invendus et qui n'apportent aucune nouveauté au Salon. Ensuite, il y a l'importation des livres destinés au pilon, à savoir à la destruction. Ces ouvrages sont de vieux titres ou encore des titres usuels, achetés au poids, et qui bénéficient de l'exonération de taxes douanières prévue pour le Salon du livre. Mais une fois le salon clôturé, au lieu d'être dédouanés ou réexpédiés tel que stipulé dans la réglementation, les invendus sont écoulés dans le circuit normal de commercialisation du livre, ce qui représente pour ces importateurs un gain supplémentaire. Enfin, il y a les importateurs “toutes catégories” qui, parce qu'ils détiennent un registre du commerce, se voient attribuer un stand et importent du livre en masse à l'occasion du Sila. Selon les tendances du moment, ceux-ci choisissent d'importer les livres les plus populaires. Ce peut être des ouvrages pour enfants, de cuisine et le plus souvent à caractère religieux, alimentant ainsi le réseau commercial informel du livre. Ces opérateurs, peu scrupuleux, ont su tirer profit d'un avantage fiscal ponctuel, destiné en premier lieu à attirer le maximum de participants étrangers mais aussi à permettre au public algérien de se réconcilier avec la lecture. Le Sila est donc victime de son propre succès. Les nombreuses dérives enregistrées ont poussé, cette année, les organisateurs à durcir les conditions de participation pour les exposants, et exclure les importateurs et libraires de cette 13e édition. Lors de la conférence de presse tenue mercredi dernier par les organisateurs du Sila, le chiffre de 120 000 titres a été annoncé. Malgré les mesures de limitation prises par le comité d'organisation, ce sont donc des millions d'ouvrages qui seront exposés au salon, générant un chiffre d'affaires qui se compte en dizaines, voire en centaines de millions de dinars. Hier, selon des sources proches des douanes, les mises sous entrepôt public de marchandises destinées au salon atteignaient déjà 15 millions de dinars. Quand on sait qu'on en est seulement au début des expéditions — le retard est une des traditions du Sila —, il est aisé d'imaginer que ce chiffre devrait très vite grimper. Mesures ou pas, produit culturel ou non, le salon est et restera encore longtemps une affaire très rentable pour ceux qui y participent. A. H.