La proclamation du 1er Novembre 1954, en s'assignant parmi ses objectifs «la restauration de l'Etat algérien démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques», visait clairement la création d'une autorité étatique, représentant la souveraineté nationale qui a été incarnée par le GPRA à une étape donnée de la lutte armée. Par Lounis Mehalla (*) C'est aussi l'un des objectifs du Congrès de la Soummam, lequel, en créant des organes et des structures organisant la lutte pour l'indépendance, visait également la transformation des organes de la direction collégiale (CCE-CNRA) en une institution étatique pour prendre en charge les impératifs de la lutte et les éventuelles négociations avec la puissance coloniale par un gouvernement provisoire. Ce qui fut fait le 19 septembre 1958, un événement qui a eu un retentissement considérable sur le plan national et international. Ainsi, la proclamation du GPRA a été la concrétisation véritable des promesses du 1er Novembre 1954. La proclamation du GPRA a été, en effet, le premier acte fondateur d'une souveraineté nationale, préfigurant la restauration de l'Etat algérien détruit le 5 juillet 1830. C'était la première fois, dans l'histoire de l'humanité, qu'un peuple composé d'une population réduite (environ 9 millions habitants), qui avait connu tout au long de l'histoire de la colonisation une résistance ininterrompue, sanglante, qui avait subi les pratiques de la terre brûlée, des tentatives de génocides, a pu se reconstituer, garder sa vitalité, assurer une autonomie de subsistance en s'accrochant irréductiblement et viscéralement à sa terre, à sa culture, à son identité, à ses valeurs; a pu reprendre les armes et vaincre une armée impériale d'une grande puissance coloniale. C'est pourquoi, nous avons toutes les raisons de penser que l'Algérie constitue un exemple et un monument grandiose dans l'épopée de la civilisation universelle. Ce qui nous arrive aujourd'hui et incompréhensible, c'est un cauchemar. Dès ma tendre enfance, dans ma famille de paysans, où la vie était difficile du fait de la condition coloniale, et qu'il faut lutter pour la survie, travailler avec acharnement au prix d'efforts surhumains pour survivre, il y avait toujours un moment pour écouter, au coin du feu, des récits transmis de père en fils par nos parents et nos grands-parents sur notre histoire, sur l'avènement brutal de la colonisation, de la répression, de la terreur, des séquestres, des soulèvements, des soulèvements écrasés, des exodes. Nous avions appris que nous appartenons à une civilisation, à une nation qui est la «Ouma» du Prophète. Vers la fin des années 1940, enfants, nous étions rassemblés souvent par des militants du PPA-MTLD, qui nous faisaient chanter des hymnes et chants patriotiques à la gloire de Messali Hadj, du parti nationaliste, de l'Algérie, en arabe et en kabyle. On nous parlait, à l'époque, des massacres de 1945 à Guelma et Kherrata. Nous chantions ces hymnes avec une grande émotion, avec ferveur, pieds nus dans la boue. A l'école primaire, loin du village, nous apprenions que nos ancêtres sont les Gaulois. Mais en cours de fin d'études, nous apprenions des bribes d'histoire où il était question de la conquête de l'Algérie, de la résistance d'Abdelkader. Ce qui nous bouleversait. Quand L'Algérie libre, journal du parti nationaliste, vendu le jour du marché, le lundi à Aghribs (à une quarantaine de kilomètres à l'est de Tizi Ouzou), mon père ou mon frère aîné me l'achetait. Nous étions, mon frère aîné et moi les seuls à pouvoir lire un journal au village et l'expliquer aux militants nationalistes tous illettrés mais très politisés. La passion de l'histoire m'a été surtout inoculée par le regretté professeur Mohamed Cherif Sahli, militant du PPA-MTLD, professeur d'histoire à la Sorbonne et qui avait édité à l'époque un petit livre sur l'Emir Abdelkader sous le titre : Abdelkader le Chevalier de la foi. Ce livre a été publié par épisodes dans le journal L'Algérie libre que je suivais avec passion. Il écrivait aussi, dans le même journal, une série d'articles sous le thème «Les hommes illustres du Maghreb». Mohamed Cherif Sahli, né à Sidi Aïch, wilaya de Béjaïa, l'un des rares intellectuels du parti PPA-MTLD, devenu ambassadeur d'Algérie dans plusieurs pays durant la Révolution et après l'indépendance, est mort le 5 août 1988 dans l'anonymat à Alger. Il a écrit aussi : Le message de Jugurtha, le complot contre les peuples nord-africains, L'Afrique du Nord accuse, Décoloniser l'histoire… Pour moi, c'est cet homme et tant bien d'autres héros de la Révolution qui ont façonné notre histoire contemporaine. Je pense à Mustapha Ben Boulaïd, Larbi Ben M'hidi, Didouche Mourad, Krim Belkacem, Abane Ramdane ainsi que tous les hommes politiques, grands patriotes qui sont restés fidèles à leur peuple, à ses valeurs morales et nationales, comme Ferhat Abbas, Ben Youcef Ben Khedda, Saâd Dahlab et Mohamed Khider, qui n'ont jamais tourné la veste et subi les humiliations et parfois la mort ou la prison au lendemain de l'indépendance.
- (*) cadre supérieur à la retraite de la CNES, élu et ancien P/APC de Timizart (Tizi Ouzou)