Dans «L'Epître du pardon», œuvre épique d'Abu-el-Ala Al-Maari (973-1057), on y lit qu'un poète, répondant au nom d'Ibn Al-Qarih, lui aurait adressé une lettre pour l'éclaircir sur certaines questions d'ordre poétique et métaphysique. Al-Maari, qui, de prime abord, savait qu'il n'allait pas être controversé ou démenti, prend donc appui sur cette lettre-prétexte pour se permettre des envolées lyriques et stylistiques et, bien sûr, pour porter des jugements de valeur sur tous les poètes. Vraie ou simulée quant à elle, la réponse que donne le grand mystique, Al-Ghazali (1058-1111), dans son livre Ô fils, à un jeune venu lui demander conseil, demeure unique dans son genre dans toute l'histoire de la pensée, tant par sa simplicité que par son but purement didactique. «Je suis, dit ce jeune en substance, à la recherche d'un savoir qui me serait utile dans l'ici-bas et de quelque réconfort dans l'au-delà !». Ghazali, il faut le dire, se montre distant, mais, profondément attaché à une maïeutique qui ne provoque pas, à l'instar de celle de Socrate, mais, qui se fait délicate et avenante. Des conseils donc sont prodigués méthodiquement à ce jeune, et par-delà, à tous les jeunes du monde, sans pour autant que Ghazali quitte un seul instant son chemin initial, celui du mysticisme dans lequel il s'était engagé après un dur labeur de réflexion philosophique. Rudyard Kipling (1865-1935), le grand romancier britannique, suit, à quelque distance près, le même chemin que Ghazali, démontrant ainsi que l'avenir de l'être humain a toujours fait l'objet de tout grand thème philosophique. Dans son célèbre poème didactique, Tu seras un homme, mon fils, traduit dans presque toutes les langues du monde, Kipling se fait précepteur – et quel précepteur ! – en traçant quelques grandes lignes de conduite à l'intention de son fils. Sa date de composition remonte à 1899, c'est-à-dire à une période où Kipling était le chantre de l'impérialisme britannique et quelques années avant que son fils ne perde la vie dans le conflit de la Première Guerre mondiale. L'auteur du Livre de la jungle se montre ainsi préoccupé par l'avenir de son fils et donc de tout jeune Britannique. Les vertus, supposées communes à toute l'humanité, sont donc énumérées une à une, sous forme de conditions à réunir, afin que celui qui s'en ferait l'adepte devienne assurément un homme, au sens propre du terme. Mais, quel est ce besoin de se retrancher derrière un prétexte, dût-il être religieux ou philosophique, pour imposer à autrui une vision du monde qui, avec le passage du temps, peut se révéler comme une espèce de totalitarisme ? Il y a lieu quand même de se demander si les auteurs de ces poncifs et pensums pensent vraiment rectifier le tir de la vie des jeunes qui seraient sur le point de prendre leur envol dans cette existence ? S'il est vrai, tel qu'on le dit de nos jours, que l'instituteur, chargé en principe d'inculquer quelque savoir à ses élèves, ne fait que s'arroger des droits imprévus, qu'en est-il alors de ces auteurs qui, à travers les âges, s'évertuent à brider, intelligemment il faut le reconnaître, les esprits des jeunes par des poncifs religieux, romantiques ou philosophiques dont il ne reste, en fin de compte, qu'un blême côté esthétique dans le meilleur des cas ?Ne serait-on pas ainsi loin de «l'art de rappeler», tel que conseillé par le Saint Coran ?