-Quelles sont les difficultés pour faire un film en Algérie ? Ces difficultés sont multiples. A force d'ostracisme et de barrières, certains ont perdu l'envie de réaliser des films. Le cinéma, c'est d'abord l'envie. Cela peut ne pas concerner les techniciens comme les directeurs photos. Mais quand on est créateur, on ne peut pas réfléchir à la création et être harcelé par mille et faux problèmes. Ce qui est aberrant, c'est que nous avons toutes les possibilités pour être parmi les premiers dans le domaine du cinéma. Nous avons des potentialités humaines et des moyens financiers pour réaliser de grands films. Nous sommes dans la tétanie ! Les ouvertures ponctuelles qui se font tous les deux ou trois ans autour d'une manifestation grandiose sont utiles, mais insuffisantes. L'important est de savoir comment pérenniser tout cela. Je crois qu'il faut mettre tout sur table et songer à des états généraux sur le cinéma pour savoir ce qui se passe. Arrêtons de pleurer sur le cinéma national. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Quels que soient l'engagement ou la qualification des responsables, ce n'est pas du jour au lendemain qu'on aura un cinéma national. Aujourd'hui, nous avons des expériences filmiques différentes. Nous avons malheureusement perdu des personnes phare comme les directeurs photos Merabtine et Sahraoui. Il faut les remplacer dès aujourd'hui. -Relancer la formation, donc… Une formation adéquate, pas celle qui se fait entre quatre murs. La première formation cinématographique algérienne s'est faite dans les maquis. Le cinéma était considéré comme un moyen de lutte. Il y avait un engagement ferme, comme celui de M'hamed Yazid, pour faire prendre conscience au monde du combat libérateur en Algérie, mais aussi pour laisser des traces pour les jeunes. -Ne faut-il pas créer une école du cinéma, à l'image de celles qui existent au Maroc et en Tunisie ? La ministre de la Culture nous a sollicités pour cela. Nous avons planché sur le projet de création d'une école. Notre avis est qu'une école de tous les métiers des arts et du spectacle est plus importante qu'une école de cinéma. Le mot école est déjà restreint dans sa signification. On ne forme pas des réalisateurs, on forme des techniciens qui, plus tard, vont se révéler à travers leurs productions. L'ISMAS (arts visuels) de Bordj El Kiffan n'est pas une école de cinéma. On ne peut pas laisser une caméra dans cet institut puisqu'au bout de 24 heures, elle se détériore en raison de l'humidité et du sable. Pourquoi ne pas penser à créer une école méditerranéenne ou maghrébine pour le 7e art et voir grand ? Nous avons beaucoup de cinéastes encore opérationnels qui peuvent apporter leurs expériences. Il n'est pas possible de demander à un enseignant dans une école du cinéma d'avoir un doctorat ou plusieurs diplômes. Nous pouvons créer des passerelles avec des pays amis et ramener des compétences… -Qu'en est-il de la Cinémathèque ? La Cinémathèque est en elle-même un secteur de réflexion immense. Il est regrettable que la Cinémathèque algérienne ne fasse pas de la conservation. Au contraire, la Cinémathèque est en train de détruire le patrimoine national, aujourd'hui, malgré elle. Nous n'avons pas d'infrastructures pour faire des copies. Nous manquons d'archivistes et de spécialistes en réfection de films. Il faut faire des copies des films pour la conservation et d'autres pour l'utilisation. Le système numérique permet de faire tout cela. Il faut régénérer les films. Il est nécessaire de réveiller notre patrimoine, qui est en jachère actuellement. Les salles de cinéma ne sont pas opérationnelles. Et même si elles le sont, le public manque à l'appel. -La solution serait peut-être de récupérer les salles de projection… Oui, il faut les récupérer le plus vite possible. A ce propos, les institutions peuvent s'entendre entre elles. Nous ne sommes pas dans un pays étranger. Le ministère de la Culture doit gérer ce patrimoine immobilier. Nous avons des milliers de jeunes qui peuvent reprendre ces salles et les remettre en marche. Chaque salle peut être mise à la disposition de dix jeunes universitaires qui se partageront les tâches (diffusion, finance, recherche de films…). Pour le matériel, il faut avoir une vue prospective. Le 35 mm va être complètement éliminé. Même les films que nous avons seront hors usage. Il est impératif d'adapter au numérique les films en 35 mm. Tout cela doit générer en même temps pour que ceux qui se forment aujourd'hui puissent trouver des débouchés demain. La télévision devrait relancer les cinéclubs et ouvrir le débat sur le cinéma de sorte que la culture cinématographique aille dans les domiciles. Il est nécessaire aussi de former les animateurs et les critiques de cinéma à l'université. Actuellement, à l'université de Mostaganem, il existe un LMD cinéma. Malheureusement, il y a un manque d'encadrement pour les doctorats. Cela dit, un LMD cinéma ne sert pas pour être réalisateur, mais pour être intermédiaire et faire entrer dans ce cénacle qui est l'université la dimension de l'image et du son. Il n'est pas normal qu'un demi-siècle après l'indépendance de l'Algérie, il n'existe pas une chaire de cinéma dans les universités du pays…