L'homme à plusieurs casquettes évoque, ici, son point de vue sur le cinéma algérien et ses nombreux projets. Ancien journaliste, il a entamé une carrière de réalisateur en 1989 en signant son premier court-métrage à l'âge de 21 ans, intitulé Dieu a fait la montagne et l'homme a fait la ville. Depuis 2001, il prépare la réalisation d'un documentaire sur le cinéma algérien, intitulé Chronique de braise du cinéma algérien. Une première partie a été achevée en 2007, Ça tourne à Alger, qui montre les difficultés des cinéastes algériens durant la période du terrorisme et qui fut présentée dans une dizaine de festivals, entres autres à San Francisco, Cork en Irlande et à Amiens en France...Retour sur un parcours singulier, une expérience prometteuse et des projets, à la pelle... L'Expression: Tout d'abord un petit retour sur votre documentaire Ça tourne à Alger, qui a eu beaucoup de succès. Pourquoi avoir choisi d'évoquer ces quatre réalisateurs et que les réunit-il? Salim Aggar: Effectivement, je suis content du succès du documentaire, j'ai participé à plusieurs festivals dans le monde: San Francisco, Montréal, Cork, Amiens, Doha, Tétouan, Genève et bientôt Bruxelles, dans le cadre du Festival du film arabe en Belgique et probablement Rome et Barcelone. Ce sont des festivals dont les organisateurs m'ont contacté et demandé à voir mon film. Le fait d'avoir participé au moins à trois festivals, vous devenez inéluctablement une personnalité incontournable et sollicitée. Je reçois plusieurs demandes de participation et cela, même si je n'ai pas de site dédié au film. D'ailleurs, je suis en train de préparer, pour la rentrée, un site dédié justement à mes films, mais aussi à toutes les productions faites à Alger et le site s'appellera tout simplement www.catourneaalger.com. Concernant le choix du sujet, je dirais que c'était volontaire. Hadjadj, Malik, Lakhdar Hamina et Mohamed et Yamina Chouikh, représentent toute une génération de cinéastes, avec chacun son parcours et son style. Je ne cache pas que certains réalisateurs n'ont pas aimé ce choix, car chacun défend son parcours, mais c'est mon choix et c'est tout. Ce qui me rend heureux, c'est de voir la réaction des personnes (Chinois, Japonais, Iraniens, Indiens et même Scandinaves rencontrés lors des festivals) qui ne connaissaient rien au cinéma algérien, découvrir le combat de ces cinéastes Où en êtes-vous avec le projet d'une suite du documentaire? En fait, la suite est prête, cela concerne les réalisateurs algériens installés en France et qui sont venus réaliser des films en Algérie. C'est le cas, notamment des quatre autres cinéastes, Merzak Allouache, Nadir Moknache, Yamina Benguigui et Djamel Bensallah. J'ai suivi ces réalisateurs durant leurs tournages à Alger entre 2000 et 2005. Tout est prêt pour le montage, ce qui manque, c'est l'achat des droits de certains extraits de films. Je dois monter en France pour négocier cela. On croit savoir que vous mijotez un livre sur le cinéma. Où en êtes-vous exactement? Plusieurs, en fait, le plus important et le plus constructif c'est Caméra algérienne, le livre est fini à 70%. Deux autres livres sont en écriture, en réalité ce sont des dictionnaires, l'un concerne les films algériens, l'autre les cinéastes. Enfin, un troisième livre en projet concernera la Télévision algérienne de 1962 à nos jours. La nouveauté est que chaque livre sera accompagné d'un DVD, représentant, soit une rétrospective sur le cinéma algérien, soit des bandes-annonces des films algériens. L'objectif c'est de présenter le cinéma algérien au monde. J'ai fait une tentative lors de l'ouverture du Festival du film arabe d'Oran et cela, grâce à l'initiative du DG de l'Entv, Hamraoui Habib Chawki, cela a été apprécié. De nombreux invités ont apprécié la qualité et les thèmes de certains films algériens parce que ces derniers ne sont malheureusement pas connus hors de nos frontières. Quel constat faites-vous sur le cinéma algérien d'aujourd'hui? Je dirais, un constat amer. A mon sens, il n'y a pas de cinéma, il y a des films. Il y aura un cinéma quand celui-ci rapportera quelque chose, tant au plan commercial que culturel. Or, nos films ne sont pas appréciés hors des frontières contrairement aux années 70. Aucun distributeur étranger n'acceptera de distribuer des films algériens. Car ils n'ont plus la cote dans le monde. Le talent algérien ne s'exporte plus. Seuls les cinéastes algériens qui travaillent à l'étranger bénéficient d'un véritable statut. Si vous allez en Europe ou dans les pays arabes et vous demandez aux «spécialistes», pas des gens ordinaires, que connaissez-vous du cinéma algérien, ils vous répondront: Mohamed Lakhdar Hamina, Omar Gatlato, La bataille d'Alger ou Rachida. Le cinéma algérien se résume à cela, malheureusement. Un cinéma est reconnu par la qualité de ses films et au talent de ses réalisateurs, pas par la quantité des oeuvres produites. Les Iraniens, les Chinois, les Coréens du Sud, et aujourd'hui les Brésiliens et les Argentins l'ont bien compris. Regardez l'Inde, par exemple, elle produit 800 films par an, mais il y a seulement une dizaine qui est diffusée dans le monde. Autre exemple, le Nigéria. C'est le plus important producteur de films en Afrique avec 100 titres tournés par an pour la plupart en vidéo, mais personne ne connaît le cinéma nigérian. On reconnaît son industrie Nollywood, au même titre que Hollywood aux USA ou Bollywood en Inde. C'est la qualité des films et la particularité de son cinéma qui le font connaître dans le monde. Certains réalisateurs en Algérie ont préféré gagner de l'argent au détriment de la qualité, seul critère pour bien représenter l'Algérie à l'étranger. Le cinéma peut-il se relever avec l'apport des cinéastes algériens installés à l'étranger? Je ne pense pas, la majorité des cinéastes algériens vivant à l'étranger viennent en Algérie pour chercher des fonds de soutien. Ils obtiennent souvent l'aide du Fdatic, de la télévision et même du matériel cinématographique gratuitement alors que normalement ils doivent payer. De plus, certains, pas tous heureusement, recrutent des techniciens étrangers pour les métiers les plus lourds (image, 1er assistant, monteur...) et prennent les locaux pour les tâches les plus subalternes. Le technicien algérien est dévalorisé et pas considéré. Inutile de parler du thème, car une bonne partie des cinéastes font des films qui offrent une image négative de l'Algérie. Mais cela a changé depuis, puisque le ministère de la Culture a revu sa stratégie concernant cette frange de cinéastes. Certains de leurs films n'ont même pas reçu le visa d'exploitation, alors qu'ils ont été tournés en Algérie. D'ailleurs, à ce propos, une délégation du ministère de la Culture, accompagnée des présidents des bureaux exécutifs des trois associations (l'AVA, l'Arpa et l'Association des réalisatrices productrices représentée par Nadia Cherabi), et des directeurs de la Cinémathèque et du Cnca, s'est rendue à Paris pour y rencontrer les 10 et 11 juillet 2008 une délégation du CNC et d'Unifrance et cela dans le cadre de l'accord de coproduction avec la France, signé récemment. Cette rencontre a été positive pour la partie algérienne qui a obtenu, durant ces deux jours, plusieurs promesses d'aide (formation, coproduction, distribution, aide à la finition, atelier d'écriture). Reste à savoir le résultat sur le terrain. Ceci est un prélude à une rencontre qui aura lieu le mois de décembre prochain lors de la visite d'une importante délégation française composée de 15 personnes et qui coïncidera avec la sortie d'une importante production française en Algérie. Mais cette aide concerne l'aide d'un gouvernement à un autre. Mais l'aide des cinéastes algériens pour relever le cinéma algérien n'est pas à l'ordre du jour pour le moment. Le Fdatic sera revu à la hausse. Votre sentiment là-dessus? C'est une bonne chose mais ça reste insuffisant, même si on arrive à 10 millions de dinars ça ne suffit pas pour faire un film aux normes commerciales et artistiques actuelles. Nous sommes dans une situation où il n y a pas de réel producteur. Nous avons, par contre, énormément de producteurs exécutifs qui se remplissent les poches avec l'argent du Fdatic et de la Télévision. Je ne comprends pas comment le gouvernement peut accepter de financer des films avec des fonds subventionnés, puisqu'il n'y a pas de rentrée des ventes de billets pour qu'au retour il ne récolte rien, ni prix, ni succès commercial et encore moins une réussite critique ou populaire. L'Etat avait abandonné dans le passé le secteur cinématographique, mais aucun privé n'a saisi l'occasion pour construire une importante société de production et de distribution de films et devenir ainsi indépendant. Citons l'exemple de la presse, la presse privée l'a emporté sur le public. Les journalistes ont été plus malins que les réalisateurs dans cette phase de changement du système économique. Aujourd'hui, la situation est telle que les boîtes privées sont revenues aux aides de l'Etat et à la Télévision pour financer leurs productions. Le cinéma ne vit malheureusement que grâce aux événements organisés par l'Etat: «l'Année de l'Algérie en France 2003», «Alger, capitale de la culture arabe 2007» et prochainement le Festival panafricain 2009. Le cinéma arabe vient de perdre un géant en Youssef Chahine. Un commentaire là-dessus? Effectivement, le cinéma arabe a perdu un pharaon en la personne de Youssef Chahine, c'est d'ailleurs l'objet de mon prochain documentaire. Je l'ai rencontré en décembre 2004. J'ai filmé durant plus de 3 jours Chahine qui est venu présenter son avant-dernier film Alexandrie...New York, j'ai découvert un personnage particulier. J'ai des images inédites qui méritent d'être montrées, pour mieux comprendre le personnage et surtout sa relation passionnelle avec l'Algérie.