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Ahmed Akkache : L'homme, l'intellectuel et le militant
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Publié dans El Watan le 28 - 11 - 2010

«Les plus grandes œuvres d'art d'une révolution, ce sont les hommes qu'elle produit.»

Romain Rolland
Le 8 octobre 2010, Si Ahmed Akkache nous a quittés à l'âge de 84 ans, après une longue maladie qu'il combattit courageusement pendant plus un an. Retracer le parcours de l'homme, l'intellectuel et le militant, n'est pas aisé, car Si Ahmed n' est jamais apparu sous les feux de la rampe, il était très soucieux, surtout, de mettre tout ce qu'il possédait au service de la communauté. Et c'est ainsi que, très jeune, enfourchant son vélo, parcourant des kilomètres, il se présentait chaque matin pour inculquer le savoir aux petits Algériens dans une école sise à Seballa (Draria). Ses anciens élèves des années quarante se souviennent encore de cet instituteur, longitudinal, au teint clair, jovial, avec des yeux pétillants d'intelligence, qui, subtilement, leur distillait des métaphores aux consonances nationalistes, eux les «Indigènes» que La France voulait à tout prix civiliser par les vertus de «nos ancêtres les Gaulois».
Le jeune collégien découvrit le marxisme durant ses études à Alger et s'engagea dans le feu de l'action pour un monde meilleur, aux côtés de la classe ouvrière et de la paysannerie. Secrétaire général des Jeunesses démocratiques (1946), et après un bref passage au PPA, il adhéra au PCA et occupa diverses responsabilités au CC et au BP de 1947 à 1952. Il fut aussi l'un des animateurs d'Alger Républicain. C'est au sein de ce «journal pas comme les autres» qu'il se lia d'une grande amitié avec Kateb Yacine. Si Ahmed, comme des millions d'Algériens, rejoint le combat libérateur ainsi que Mourad, son frère cadet, (membre du commando de choc de la guérilla urbaine dès 1955).
En 1957, il fut arrêté et condamné à 20 ans de prison par le tribunal des forces armées d'Alger. Face à Massu, subissant les plus atroces tortures dont il gardera de graves séquelles, il résista, témoigne Henri Alleg dans La Question, et même ses tortionnaires parachutistes le citèrent en exemple pour sa ténacité : «l'homme de fer». Il déclencha une grève de la faim pour revendiquer le statut de prisonnier politique et sombra au vingt-et-unième jour dans un profond coma. I1 fut transféré à Angers (France) et put s'évader de l'infirmerie de cette prison en 1962 avec l'aide de communistes français. Si Ahmed relata ces faits dans L'Evasion (SNED 1973), roman à forte connotation autobiographique, mais le «Moudjahid» ne s'est pas autoproclamé héros, comme on a pu le constater avec le foisonnement de mémoires sur la guerre d'Algérie durant ces deux dernières décennies.
Préfacé par l'auteur de Nedjma, qui brille toujours dans le firmament de la littérature mondiale, le roman est avant tout un hommage aux sacrifices des Algériens avides de liberté et d'indépendance et un témoignage sans complaisance sur la sale guerre qu'a menée la France en Algérie. Dans une interview accordée à El Watan le 26/04/2006, Si Ahmed déclara que «le colonialisme n'est pas une histoire anecdotique de coup d'éventail», mettant à nu les thèses classiques qui déculpabilisent le système capitaliste dont l'essence même est d'accaparer des richesses des pays colonisés. A l'indépendance, il enseigna l'histoire et publia Tacfarinas (SNED 1968), La Résistance algérienne de 1845 à 1945 (SNED 1972), dont il céda ses droits d'auteur au collège syndical Drareni (Bouzaréah) qui les met gracieusement à la disposition des travailleurs.
En économie, il publia Capitaux étrangers et libération économique : l'expérience algérienne (Maspero 1971), visionnaire, les conclusions auxquelles il aboutit sont pertinentes. Il a été emprisonné après le 19 juin 1965 pour avoir rallié l'Organisation de la résistance populaire (ORP), en opposition au coup d'Etat de Boumediene, bien qu'étant en rupture de ban avec le PCA sur des questions d'ordre stratégique et ce, dès les premières années de l'indépendance sans pour autant rompre avec son obédience originelle. Libéré, il se rapprocha du PAGS quelques années plus tard.
Pédagogue, toujours soucieux d'éclairer et d'expliquer, il animait régulièrement des conférences-débats sur des questions qui intéressent les citoyens. Il mena durant sa carrière jalonnée de grands succès des études, des enquêtes et proposa des programmes à même d'améliorer le quotidien des humbles, des handicapés, des salariés, des femmes... A l'étranger, où il eut l'occasion d'être invité dans des forums et des conférences, il honora notre pays grâce à sa maîtrise des questions socio-économiques, et celles et ceux qui ont assisté à la rencontre internationale sur les politiques nationales de l'emploi (Alger 1989) se souviennent encore de sa magistrale intervention sur la question. Les plus prestigieuses revues spécialisées lui ouvrirent leurs colonnes sur les thèmes en liaison avec les préoccupations majeures du monde du travail.
Si Ahmed Akkache assuma de grandes responsabilités dans le secteur Travail & Affaires Sociales» véritable cheville ouvrière. C'est sous son autorité que vit le jour la législation du travail et de la protection sociale digne d'une nation indépendante dont les bénéficiaires ont été doublement exploités par le colonialisme et son corollaire, le capitalisme.
Si Ahmed a été admis en retraite en 1992, après avoir dirigé pendant 5 ans l'Institut national du travail (Draria) dont il transforma les structures pour en faire un instrument de formation pour syndicalistes, gestionnaires, inspecteurs du travail... En liaison avec la nouvelle réalité socioéconomique. Notons au passage qu'il eut «l'honneur d'une inspection de la Cour des comptes». Si Ahmed lui-même recommandait à ses collaborateurs de faciliter la tâche aux auditeurs qui ont fait preuve de professionnalisme sans aucun excès ni zèle. Résultat : gestion correcte qui a rehaussé davantage le prestige de l'institution, à sa tête un homme intègre qui fut rappelé par feu M. Salah Mentouri «l'homme qui défia le système» et Si Ahmed, en tant que retraité, a refusé d'être rémunéré se contentant d'une prime couvrant uniquement ses frais engagés.
En 2006, il publia La révolte des Saints (Casbah-Alger), récit des soulèvements des circoncellions et des Donatistes face aux gros propriétaires terriens soutenus par St-Augustin. Cette antithèse démystifia ce penseur dont certains revendiquent la paternité de son appartenance à l'Algérie, alors que dans les faits, il n'a servi que le clergé romain en réprimant les révoltes paysannes auxquelles, pour rappel, Si Ahmed avait déjà, en 1973, consacré un intéressant ouvrage : Les guerres paysannes en Numidie (SNED). La révolte des Saints, préfacé par mon ancien professeur de philosophie, M. Bouhamidi, l'auteur de la chronique «Bazooka» sur les colonnes du Soir d'Algérie, constitue un ouvrage d'anthologie sur l'histoire de l'Algérie antique et révèle la capacité de synthèse dont fit preuve l'auteur à l'âge de 80 ans sur un thème très complexe que beaucoup d'historiens évitent d'aborder par diplomatie, ménageant ainsi l'auteur des Confessions et les admirateurs de «cet authentique enfant de Souk Ahras».
L'Algérie face à la mondialisation est un essai qu'il publia en 2009 (Editions lAIG) dans la perspective d'expliquer et de débattre de cette question dont il avait déjà détecté les premières prémices dans son premier essai d'économie en 1971. Il déclara à notre amie journaliste Hafida Ameyar auteur du Sahara Occidental : une question de décolonisation en substance que «l'Algérie a déjà connu la mondialisation dans le passé à travers la colonisation française. La mondialisation marque une étape de développement et de transformation au monde extérieur du capitalisme et de l'impérialisme». Ce modeste témoignage ne reflète que de manière sommaire le parcours glorieux de 1'homme, l'intellectuel et le militant charismatique, intègre, incorruptible et orateur hors pair qu'est Ahmed Akkache, celui qui n'a jamais cessé de servir son pays et ses concitoyens avec toutes ses forces et son énergie malgré les obstacles qu'il affronta pour exercer son grand talent d'intellectuel accompli.
Ses camarades de l'ex-PCA, leurs dignes héritiers du mouvement progressiste, ses anciens collaborateurs, les travailleurs tiennent à lui rendre un ultime hommage et s'inclinant à sa mémoire.Espérant que les décideurs de ce pays daignent un jour (le plus tôt possible) baptiser un édifice public au nom d'Ahmed Akkache qui n'a jamais demandé de contrepartie pour ses précieux services et qui, très sollicité pour ses multiples compétences par de prestigieuses institutions étrangères, refusa des offres alléchantes.
Gloire à celui qui est resté fidèle à cette Algérie qui coulait dans ses veines jusqu'à sa dernière pulsation.


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