La liberté d'expression est-elle soluble dans les intérêts des uns et des autres, fussent-ils couverts du qualificatif «nationaux» ? En d'autres termes, les médias sont-ils tenus par une sorte de devoir de réserve qui les obligerait à sacrifier cette liberté sur l'autel d'intérêts étroits fussent-ils ceux d'une nation ? Dans la plupart des chartes de l'éthique et de la déontologie balisant le fonctionnement des médias libres, la collecte, la vérification et la publication des informations s'effectuent indépendamment de toute pression extérieure. Plus précis et intransigeant est à ce propos le premier amendement de la Constitution américaine : «Le Congrès ne fera aucune loi (…) qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse (…).» C'est sur la base de pareilles dispositions se multipliant depuis une peu plus de deux siècles, d'abord dans le monde occidental, que s'est construite, bien sûr à des niveaux inégaux, l'indépendance éditoriale des journaux, ensuite celle des autres médias. Cette indépendance est censée être effective à l'égard des propriétaires (dans certains cas, ils sont actionnaires), des annonceurs, des pouvoirs politiques, publics, économiques, idéologiques et religieux pour permettre une information libre, complète et efficace. Afin d'asseoir et de renforcer la liberté d'expression, on arriva à la mise sur pied de très nombreuses ONG dont l'action est depuis la moitié du vingtième siècle souvent soutenue politiquement et même financièrement par des Etats, voire par des organisations internationales dont les non moindres sont celles de l'ONU. Les démarches et les actions de régimes et d'hommes puissants furent contrées par cette liberté d'expression à l'instar de Nixon dans l'affaire du Watergate. La réputation de George W. Bush et de l'armée américaine ont été, entre autres, ruinées par les révélations de la presse. Des exemples analogues à collecter sur les cinq continents sont innombrables. Aujourd'hui, les Etats, celui de l'empire américain en premier, découvrent que cette liberté d'informer doit absolument être brimée. En osant la pousser jusqu'à son extrême limite, WikiLeaks a jeté l'effroi dans les rangs de ceux qui, hier encore, se déclaraient être les champions de la défense des libertés fondamentales. Aujourd'hui, du cœur du pouvoir US, de l'Elysée, de Londres et d'ailleurs, les hommes politiques, souvent relayés par des médias à leur dévotion, crient haro sur le site WikiLeaks pour tenter d'enrayer sa volonté d'élargissement de la transparence. Internet et WikiLeaks sont-il en train d'ouvrir une nouvelle ère à la liberté d'expression ? Cela est probable et, surtout, souhaitable.