C'est la saison des pluies, batata terfas, patates douces et champignons arrivent sur les marchés avec leurs senteurs particulières. Pour oublier un peu la viande et se réchauffer au fond de l'hiver naissant. Odeurs de terre mouillée et de bois humides, parfums obscurs de montagnes, feuilles et sols aux couleurs étranges, rehaussées de rouge, mauve, jaune, violet et orange, c'est l'automne et avec lui les senteurs et légumes de saison. Les topinambours, les patates douces et les champignons sont arrivés sur les marchés. Pour la première, la batata terfas, tubercule venu du Brésil (les topinambours désigneraient d'ailleurs une ancienne tribu de ce pays) est récoltée de la mi-octobre jusqu'à à la fin de l'hiver. Avec sa texture de pomme de terre, son léger parfum de truffe et son goût d'artichaut (les Anglo-Saxons l'appellent d'ailleurs «artichauts de Jérusalem »), le topinambour pousse tellement bien et sur à peu tous les sols qu'il était considéré comme un aliment de pauvre, jusqu'à ce que les biologistes, encore eux, viennent expliquer qu'il est plein de choses à l'intérieur qui font du bien, comme les vitamines A, C et B3, des sels minéraux, des fibres et du fer. Son seul problème réside dans la façon de l'éplucher. De par sa structure noueuse, on est tenté d'enlever toute la peau et de dénaturer ainsi son goût, qui réside essentiellement dans cette fine peau qui renferme cette saveur particulière qui le rapproche de la truffe, d'où son nom, patate-truffe (batata terfas). Cédé autour de 100 DA, le topinambour peut être cuisiné comme une pomme de terre. Bouilli à l'eau, en purée ou en ragoût (oignon-mouton-cumin) au four ou en robe des champs, les Algérois le préfèrent en chtetha (ail et paprika). Riche en potassium, phosphore, souffre et zinc, il est aussi utilisé en Algérie en décoction pour ses vertus digestives (bien cuit et mangé de suite après sa cuisson, sous peine de provoquer l'effet contraire) contre la constipation, l'anémie et comme un tonifiant neuromusculaire. Seul défaut, contrairement à sa cousine, la pomme de terre, le topinambour se conserve très mal. Il se dessèche vite et ne tient pas longtemps, deux jours à peine, même dans un réfrigérateur, et devient indigeste si on le consomme le lendemain ou si on le réchauffe. L'expression est connue, «el batata ma tbatch» (la pomme de terre ne couche pas), ce qui n'a rien à voir avec le fait qu'elle soit un légume de bonne famille, mais parce que refroidie, elle perd le lendemain toutes ses qualités culinaires et gustatives, ce, qui pour le topinambour, arrive beaucoup plus rapidement. Il ne couche ni ne fait la sieste. La douceur de la patate douce Pour la batata hlouwa, patate douce (ou sucrée), arrivée sur les marchés à la même période que le topinambour, c'est aussi un tubercule consommé un peu partout dans le monde et d'origine sud-américaine. Comme le topinambour, elle avait plus ou moins disparu des marchés, alors que de nombreuses recettes algériennes l'incorporent, surtout dans des desserts grâce au sucre (30%) qu'elle renferme. Si sa forme bizarre la renvoie aux étrangetés de la nature, ce fruit-légume cédé autour de 80 DA le kilo ne se cuit généralement qu'au four ou en ragoût, supportant mal les autres modes de cuisson contrairement au topinambour et à la pomme de terre. Sauf pour les patates de petite taille, que l'on peut faire bouillir à l'eau ou faire frire. Les grosses ou de taille moyenne seront de préférence épluchées et mises au four, accompagnées ensuite d'un filet d'huile d'olive et de gros sel ou de beurre, ou mijotées en sauce avec toutes sortes de viande. Riche par ses propriétés anti-oxydantes, ses vitamines (B2, B6, C, A), la patate douce est censée protéger des maladies cardiovasculaires. Dans certaines régions d'Algérie, on en fait surtout des sirops et des confitures, et mêmes des «chips», très fines rondelles dorées au four ou frites dans l'huile, puis saupoudrées de sucre, à grignoter longuement, l'équivalent du pop-corn américain pour les soirées TV. Enfin, pour terminer l'automne et agrémenter patates douces et topinambours, les champignons, qu'on ne trouve pas dans tous les marchés mais qui existent pourtant, notamment près des régions montagneuses ou boisées, comme à Chréa, où le champignon sauvage est cédé à200 DA le kilo. Attention aux intoxications quand même, il y a régulièrement des morts en Algérie dus à la consommation de champignons vénéneux que les promeneurs récoltent dans les bois sans s'y connaître. L'année dernière d'ailleurs, les services de santé publique ont lancé une campagne de sensibilisation sur les dangers des champignons, là où les légumes sont si chers que les gens sont tentés d'en ramasser tout seuls. Il y aurait 5000 espèces de champignons, dont une centaine est toxique. Mais devant l'engouement pour les champignons en boîte vendues dans les épiceries et qui servent à cuisiner divers mets, pâtes, viandes, pizzas ou même boureks, quelques agriculteurs se sont lancés dans la culture du champignon «royal», une appellation commerciale qui désigne les champignons entiers cultivés sur des lits de crottin de cheval (si si, c'est très bon). En proie à des problèmes de commercialisation, ces champignons, pourtant de bonne qualité, sont assez difficiles à trouver. A Alger, des privés utilisent les grottes du boulevard des Martyrs (la grotte de Cervantès en est la plus célèbre, là où l'écrivain fut détenu captif par les pirates d'Alger) pour faire pousser des champignons, disponibles au marché du 1er Mai. Les livres de Cervantès sont par contre introuvables. Autre problème de culture.