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«Certaines pratiques risquent de tuer le journalisme au Niger» Boubacar Dialo. Président de l'Association nigérienne des éditeurs de la presse indépendante (ANEPI)
-Pouvez-vous nous brosser un panorama la presse nigérienne ? C'est au lendemain de la conférence nationale organisée en 1991 que le Niger a fait son entrée dans l'ère du multipartisme. C'est aussi à cette période que le pouvoir a accepté d'ouvrir le champs médiatique. La presse écrite indépendante a émergé aussitôt. Cela a commencé avec cinq journaux. Il faut savoir que depuis 1960, date de l'indépendance du pays, il n'y avait que des médias étatiques qui avaient droit de cité. Le Niger disposait d'un journal et d'une chaîne de radio. Ce n'est que vers 1979 que les Nigériens ont assisté à l'avènement de la télévision. Aujourd'hui, le Niger compte 70 titres. Beaucoup cependant paraissent plus ou moins régulièrement. Dans le domaine de l'audiovisuel, nous avons enregistré aussi une avancée depuis les années 1990, puisque nous avons 26 radios indépendantes. Côté télévision, l'Etat dispose depuis l'année 2000 d'une seconde chaîne. Dès 2008 aussi, quatre chaînes de télévision privées ont pris place dans le paysage audiovisuel nigérien. Nous considérons cela comme un grand acquis pour le Niger et pour toute l'Afrique de l'Ouest. -Le Niger dispose-t-il aussi de radios communautaires ? Oui. Elles sont très nombreuses, exactement 120. Ce chiffre va bientôt être revu à la hausse, étant donné que l'organe nigérien de régulation des médias a annoncé qu'il avait autorisé huit nouvelles radios à émettre. Puisque nous en parlons, sachez qu'il y aura bientôt également trois nouvelles chaînes de télévision. Leurs propriétaires viennent d'obtenir le quitus des autorités pour commencer à travailler. Dans un proche avenir, le Niger comptera donc en tout sept chaînes de télévision privées. -Existe-t-il des organisations qui défendent les intérêts des éditeurs et des journalistes au Niger? Quatre associations activent dans le secteur public. Le secteur privé en compte une vingtaine. Parmi ces organisations, il y en a qui représentent les journalistes et d'autres qui défendent les intérêts des patrons de presse. Vous avez par exemple les éditeurs de la presse écrite, organisés autour de l'Association nigérienne des éditeurs de la presse indépendante, que je préside. Toutes ces organisations (employés comme employeurs, journaux publics comme privés) sont regroupées au sein d'une fédération qui s'appelle la Maison de la presse. C'est cette structure qui fédère toutes les organisations qui existent dans le secteur des médias. -Quels sont les objectifs que s'assigne d'atteindre cette fédération ? Son but est de renforcer la confraternité et d'appuyer les entreprises de presse, qu'elles soient publiques ou privées. Elle se charge aussi d'assurer la formation continue des journalistes et des techniciens de médias nigériens. Je suis également le président du conseil d'administration de la Maison de la presse. La confédération a été créée en 2005. Je suis le deuxième président avec un mandat de trois ans renouvelable une fois. Toutes les organisations membres ont un représentant dans son conseil d'administration. Les membres du bureau du CA de la Maison de la presse sont au nombre de sept. -La liberté de la presse au Niger est donc une réalité bien ancrée… C'est réellement le cas. Il est vrai qu'en matière de développement, le Niger est connu pour être l'un des derniers pays au monde. Néanmoins, je peux vous assurer que la liberté de ton que nous avons ici au Niger est extraordinaire. Dans ce domaine, nous avons une réelle avance sur beaucoup de pays développés en Afrique. -Les Nigériens ont tout de même payé un lourd tribut pour avoir le droit de s'exprimer librement aujourd'hui… Je ne vous le fais pas dire. La liberté de la presse a été consacrée dans le prolongement des événements de 1991. C'est le syndicat des étudiants qui a arraché le principe de la tenue d'une conférence nationale. Nous étions alors sous le régime d'exception. Il y avait au pouvoir un régime militaire très fort, quand les étudiants ont manifesté dans la rue. Pour tenter de les arrêter, les forces de l'ordre n'ont d'ailleurs pas hésité à tirer sur eux. Il y a eu des morts mais les étudiants n'ont pas reculé. Nous faisions partie, à l'époque, des leaders du syndicat des étudiants. Nous avons continué à manifester. Cela a contraint le pouvoir à accepter le principe d'ouvrir un débat sur l'avenir du pays, ce qui nous a amenés à la conférence nationale qui consacra le multipartisme et le pluralisme médiatique. Toutes les forces politiques, syndicales et sociales ont pris part à cette conférence nationale qui s'est tenue grâce aux étudiants. Celle-ci a permis au peuple nigérien de faire un état des lieux. Nous avons mis les problèmes du Niger sur le plateau. C'est ce qui a abouti à des élections démocratiques. Quelque temps après, ce sont ces mêmes étudiants qui se sont jetés à l'eau et ont crée les premiers journaux indépendants. Nous pouvons dire que nous sommes les pionniers de la presse indépendante nigérienne. -Y a-t-il aujourd'hui des lois qui garantissent la liberté de la presse au Niger? La Constitutionnigérienne a toujours garanti la liberté de la presse. Aujourd'hui, cette liberté s'est vue renforcée avec la promulgation d'une loi qui dépénalise le délit de presse. Les autorités nigériennes se sont engagées à ne plus emprisonner des journalistes pour leurs articles. Il faut rappeler, à ce propos, qu'une ordonnance datée de 1999 autorisait l'emprisonnement des journalistes dans des cas de diffamation. De nombreux journalistes ont été emprisonnés. Cela a duré jusqu'en 2009. Jusque-là, il suffisait que quelqu'un porte plainte contre vous ou qu'un membre du gouvernement décide de vous faire arrêter pour que vous vous retrouviez derrière les barreaux comme un vulgaire malfrat. On ne cherchait même pas à savoir si vous aviez tort ou raison. Vous vous retrouviez en prison un point c'est tout ! Parfois, cela se faisait même sur un simple coup de téléphone, parce qu'un journaliste avait osé donner son opinion sur un événement. Avec la nouvelle loi, les journalistes sont beaucoup plus sereins. Là nous pouvons réellement dire que la liberté de presse est effective. La loi qui criminalise le délit de presse a été abrogée par le chef de l'Etat actuel, le général Salou Djibo. Il faut avoir toutefois l'honnêteté de dire que c'est le régime qui a été renversé qui avait engagé le processus. Ceux qui ont pris le pouvoir le 18 février 2010 n'ont fait que poursuivre le travail. Les organisations des médias ont maintenu, quant à elles, la pression pour que le processus ne soit pas remis en cause. Maintenant, c'est une nouvelle loi qui est là. Mais à ce niveau, il faut tout de même faire attention. La loi ne couvre que trois délits. Il s'agit de la diffamation, de l'injure et de la propagation de fausses nouvelles. Il faut garder à l'esprit qu'un journaliste qui, à travers ses écrits ou ses reportages, pousse à la haine ethnique, religieuse ou raciale, tombe clairement dans le domaine du pénal. Lorsque vous poussez les gens à se soulever ou à saccager les biens publics, vous risquez d'être condamné comme n'importe quel bandit. Pour les trois cas que je viens de vous citer (diffamation, injure et propagation de fausses nouvelles), les journalistes risquent au plus des amendes. Cela fait quand même près d'un an qu'aucun journaliste n'est allé en prison. -Quel est le cheminement suivi par ce texte de loi ? En mars 2010, soit juste un mois après le coup d'Etat, nous avons tenu les états généraux de la presse avec toutes les parties prenantes. C'est au cours de cette réunion que nous avons élaboré le projet de loi. Les autorités étaient également représentées à cette rencontre. C'est donc un texte de loi consensuel qui a été élaboré. Les choses n'ont pas du tout traîné, puisque celui-ci a été promulgué en juin dernier par le chef de l'Etat. Il ne manquait plus que sa publication au Journal officiel pour que le texte soit appliqué. C'est désormais chose faite aujourd'hui (8 novembre 2010, ndlr). -Les titres de la presse privée nigérienne ont-ils les moyens financiers pour faire face aux amendes prévues par cette nouvelle loi ? Il est vrai que quand l'amende est trop forte, celle-ci peut tuer un titre. Il faut savoir que la presse nigérienne vit dans une extrême précarité. De nombreux organes n'ont pas d'assise financière véritable. Certains titres ne peuvent même pas supporter une amende de 500 000 francs CFA (un peu moins de 1000 euros). Certains pour moins que ça peuvent même mettre la clef sous paillasson. Malgré cela, nous considérons que cette nouvelle loi va permettre d'organiser le métier et de discipliner certains journalistes. -Par quoi expliquez-vous cette précarité ? C'est simple, il y a beaucoup de médias sur la place. Parallèlement à cela, le marché de la publicité est très réduit. Il est évident qu'un annonceur ne peut pas placer ses annonces dans les 70 titres qui existent. Avec les budgets publicitaires qui sont les leurs, les annonceurs ne peuvent travailler qu'avec deux ou trois journaux, pas plus. Et encore ! Beaucoup de confrères pensent que nous n'aurions pas dû créer autant de journaux. Il faut dire aussi que le marché de la publicité n'est pas du tout réglementé au Niger. Généralement, ce sont les journaux publics qui raflent l'essentiel de la publicité. C'est le cas du Sahel, un quotidien public. Il hérite de toute la publicité. Le Sahel a plus de pages de publicité que d'articles ! La publicité prend le pas sur l'information. Tous les annonceurs s'y bousculent. Ils s'adressent généralement à ce journal pour éviter de se voir accuser de financer des partis politiques à travers la presse privée. Dans le contexte nigérien, il est important d'assurer une certaine équité dans la distribution de la publicité. Il faut un texte réglementaire. -La situation est-elle moins compliquée au plan de l'impression ? Pas du tout. Il existe plusieurs imprimeries au Niger. Elles appartiennent toutes à des hommes d'affaires qui ne sont pas dans le domaine de la presse. Cela fait qu'aucun journal ne possède sa propre imprimerie, à l'exception de l'hebdomadaire Le Républicain, dont le directeur est également le propriétaire de la Nouvelles imprimerie du Niger. C'est d'ailleurs l'un des plus importants imprimeurs de la place et même de la sous-région. Le quotidien public possède également sa propre imprimerie. Mais cela ne règle pas le problème. Celle-ci fonctionne néanmoins cahin-caha. La preuve, même ce quotidien d'Etat est parfois obligé d'aller imprimer chez les privés. Et puis les coûts d'impression sont trop élevés. Ils sont même exorbitants. -Des coûts d'impression élevés donnent une presse trop chère et donc une presse qui ne se vend pas… Effectivement. Si nous ne trouvons pas de solutions pour réduire les coûts, il sera difficile pour les éditeurs de rentrer dans leurs frais surtout que la presse écrite ce n'est pas ce qui marche le plus en raison du prix élevé des journaux. L'équation est simple : pour faire baisser les prix des journaux, il faut réduire les coûts d'impression. Pour l'heure, un journal coûte 300 francs CFA (près de 50 centimes d'euro). Cela fait pratiquement deux baguettes de pain. Et quand on sait tous les Nigériens qui mangent à leur faim… Faut-il acheter son journal ou acheter son pain ? Entre les deux, je crois que le choix est vite fait. La solution est que les éditeurs mettent leurs moyens en commun pour acquérir une rotative. C'est seule manière de réduire les coûts, d'augmenter la pagination et d'améliorer la qualité des journaux. Actuellement les journaux ne font que huit pages. De plus, ils sont en noir et blanc. Pour vous donner idées sur les charges que nous supportons, sachez simplement que le coût d'impression d'un journal de huit pages est de 150 francs CFA. Cela déjà la moitié du prix du journal. Inutile de vous dire que 150 francs CFA restants ne vous suffisent même pas pour payer les salaires journalistes. La plupart des journaux roulent à perte. Et comme en plus la publicité se fait rare, donc je ne vous dis pas… ! C'est la raison pour laquelle certains éditeurs et certains journalistes acceptent de devenir des tueurs à gages pour arrondir leurs fins de mois. Aujourd'hui, je peux vous dire que le secteur n'est pas viable. Il faut que les éditeurs mettent leurs efforts en commun pour survivre. La solution est à notre niveau. Elle ne peut pas venir des pouvoirs publics. -La profession est vraiment aussi fragile que vous le dites ? Ce n'est pas une vue de l'esprit. La profession est très fragile. Je peux même vous dire qu'elle a pris un sacré coup. Vue de l'extérieur, certains doivent certainement nous envier et se dire que la presse nigérienne a vraiment du poids et a gardé toute sa notoriété. Mais je peux vous dire que ce n'est pas le cas. Lorsque vous êtes ici, vous vous rendez compte très vite que la presse a perdu sa crédibilité. La raison ? Beaucoup de journalistes se laissent corrompre en raison de la précarité. Il y a des journalistes qui sont prêts à tous pour des miettes. Pour arrondir leurs fins de mois, des journalistes font dans le harcèlement. D'autres versent carrément dans le chantage. Pour quelques sous, ils acceptent même de s'attaquer à des personnes. Nous sommes souvent dans les règlements de comptes politiques ou autres. Ces pratiques discréditent le métier. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs nous avons interdit la gratification des journalistes (La remises d'enveloppes) sur les lieux des reportages. C'est une pratique néfaste qui existe malheureusement partout en Afrique. La seule gratification qu'un journaliste doit accepter d'avoir est celle qui émane de son employeur. Malheureusement, la précarité à fait que les enveloppes que l'on donne sur le terrain sont très souvent plus importantes que les salaires versés aux journalistes... Certains n'y résistent pas. Vous devez savoir qu'il y a des organes qui ne payent même pas de salaires. Si rien n'est fait pour réhabiliter la profession, ces pratiques vont finir par tuer le journalisme. La balle est plus que jamais dans le cas des professionnels des médias. C'est à eux d'assainir la profession et de lui redonner ses titres de noblesses. -Il y a vraiment trop de dérives dans la presse nigérienne ? La presse dispose d'une véritable liberté de ton depuis la conférence nationale. Les autorités se sont acquittées de leurs responsabilités. Malheureusement, des journalistes abusent de cette liberté. Le contenu de certains journaux fait peur. Même dans les nations les plus démocratiques, vous ne pouvez pas voir de pareilles insanités. Aujourd'hui, le mal de la profession est causé par les journalistes eux-mêmes. Certains pensent qu'ils peuvent tout se permettre maintenant qu'ils ne peuvent plus aller en prison. Toutefois, si l'on impose à un journaliste de payer ne serait-ce que 5000 Francs CFA (près de 8 euros) d'amende, je pense qu'il va réfléchir à deux fois avant de se permettre un certain langage. -Justement, la nouvelle loi doit se prononcer sur une éventuelle dérive ? Nous avons décidé aussi d'accompagner la nouvelle loi qui dépénalise le délit de presse. Pour se faire, nous avons créé un organe d'autorégulation qui s'appelle l'Observatoire nigérien pour l'éthique et déontologie. Cette structure est composée de journalistes en activité qui peuvent se prononcer sur un article fait par l'un de leurs confrères. Un simple citoyen ou même les autorités peuvent porter plainte contre un confrère. L'Oned examine le cas et rend une décision. Cela fait cinq mois depuis qu'il est lancé. Il s'agit d'une structure morale. Une dizaine de plaintes a déjà été examinée. Des confrères ont déjà été condamnés. Quand c'est un confrère qui vous condamne, je pense que c'est plus lourd qu'un tribunal. Ce procédé permet aussi d'éviter les procès. En plus de l'ONED, il existe un organe de régulation qui est une autorité administrative qui peut retirer la carte de presse, suspendre ou fermer un organe de presse. Elle peut prendre des mesures conservatoires ou définitives à l'encontre d'une entreprise de presse. Il y a des cas ou nous avons interdit à certains titres de paraître de façon définitive. Cet organe de régulation est sous l'autorité de l'administration et ses sanctions sont administratives. Quand l'organe d'autorégulation (composé de journalistes) fait bien son travail et que ses décisions sont acceptées et respectées par tous, l'organe de régulation n'a pas à intervenir. L'ONED permet d'éviter aussi de recourir à la justice. C'est ce que nous avions eu à l'esprit lorsque nous avons milité en faveur de la dépénalisation du délit de presse.