Il y a de nombreuses questions que les hommes d'affaires se posent avec acuité quand il s'agit d'investir en Algérie ou de manager du mieux possible leurs activités économiques. L'arsenal juridique y est, en effet, incomplet, souvent contradictoire et parfois même sujet à de brutaux changements. La nouvelle stratégie industrielle élaborée par l'ex-département de Abdelhamid Temmar ayant été pernicieusement mise au placard, l'Algérie n'a plus de politique économique et vogue pratiquement sans cap, au gré des lois de finances annuelles et complémentaires imposées, depuis ces trois dernières années, comme directives managériales aux opérateurs économiques. Les réactions des autorités publiques sont versatiles, la concurrence exercée par le marché informel est pour le moins déloyale et le climat des affaires peu motivant. Le silence observé par le premier magistrat du pays sur les questions économiques, la rareté des Conseils des ministres et le mutisme des membres du gouvernement sur la question centrale de l'orientation de notre économie ne sont évidemment pas faits pour arranger les choses. Ils se traduisent dans les faits par un profond malaise qui affecte le moral de la population dans son ensemble, mais plus grave encore, celui des opérateurs économiques censés produire de la croissance. Plaidoyer pour un débat national Les chefs d'entreprise, les promoteurs d'investissement et les maîtres d'ouvrage aussi bien publics que privés, sont de ce fait nombreux à souscrire à l'idée d'un débat national susceptible de donner un sens à la politique économique du gouvernement, à supposer qu'il veuille en avoir une. Les clarifications à apporter à ces questions relevant, pour certaines, de la doctrine économique (veut-on rester dans le système dirigiste ou aller vers l'économie de marché ?) sont, affirment ces acteurs, indispensables pour démêler l'écheveau des décisions politiques aussi nombreuses que contradictoires (notamment celles prises au cours de ces trois dernières années) et qui ont fini par rendre illisible et peu attractif notre environnement économique. Le Conseil national économique et social (CNES) a, lui-même, mesuré la gravité du problème et jugé de la nécessité d'un débat national sur ces questions centrales de politique économique qui plombent l'essor du pays en dépit des centaines de milliards de dollars injectés dans les programmes de développement. On se souvient qu'une conférence avait même été officiellement programmée pour la fin de l'année 2009 puis reportée, pour on ne sait quelles raisons, pour le courant de l'année 2011. La tenue prochaine de ces assises serait pour le moins souhaitable, tant les interférences politiques et les modes de gestion qui se sont succédé depuis 1988, ont rendu le processus de réforme illisible et, à bien des égards, incohérent. Les recentrages et les renoncements opérés par le gouvernement algérien durant ces trois dernières années, au moyen de lois de finances annuelles et complémentaires qui ont, dans certains cas, remis en cause des principes sacro-saints de l'économie de marché (ingérence dans la gestion des entreprises, arrêt du processus de privatisation, conditions pour les investisseurs étrangers, etc.), ont complètement bouleversé l'état des lieux de l'économie algérienne issu des réformes économiques et sociales patiemment mises en œuvre depuis 1988. Après tous les bouleversements subis par notre économie à la faveur des trois dernières lois de finances, il s'agit aujourd'hui de savoir si nos entreprises sont, comme le proclame la réforme de 1988, autonomes et soumises à l'obligation de résultats ou pas ; si leurs dirigeants sont d'authentiques managers dotés de vrais pouvoirs de décision ou de simples gérants soumis aux états d'âme et directives gouvernementales prises sans concertation avec les acteurs concernés. Les 840 EPE maintenues contre toute logique économique et juridique en activité, en dépit de leurs actifs nets négatifs qui les destinent à la faillite et la mainmise des tutelles ministérielles sur ces entreprises tendent, à titre d'exemple, à accréditer la thèse d'une perte préméditée de l'autonomie de gestion et l'abandon de l'obligation de résultats dont les réformes de 1988 avaient pourtant fait l'un de leurs principaux points d'ancrage. Immobilisme au service d'une économie de rente Il est par ailleurs utile, pensent les gestionnaires de la sphère publique marchande, que l'Etat fasse connaître les secteurs et les entreprises stratégiques qui seront, à l'avenir, chargés de tirer le développement économique du pays et qui bénéficieront, de ce fait, de traitements particuliers à l'instar de ceux généralement réservés aux sociétés de service public. Faute de cette clarification, la confusion entre entreprise publique économique tenue de vivre de ses seuls moyens et service public qui doit bénéficier de concours financiers de l'Etat pour assumer sa mission d'intérêt général, continuera à être entretenue, comme c'est actuellement le cas, pour servir les intérêts des rentiers du secteur public économique. Des clarifications à ce sujet seraient d'autant plus utiles que les réponses apportées dans le cadre du projet de nouvelle stratégie industrielle ne semblent pas faire consensus et qu'il y a lieu, à reprendre certaines déclarations du Premier ministre, de mettre sur pied une autre stratégie à même de faire repartir notre économie sur de nouvelles bases. Une stratégie à l'élaboration de laquelle devrait prendre part l'ensemble des acteurs politiques et économiques du pays, car l'objectif recherché à travers elle est de donner un nouveau cap à notre économie ou, à défaut, de sensibiliser les autorités concernées sur des problèmes aussi importants que les modalités d'octroi de crédits aux entreprises, la politique de change, l'accès au foncier, le régime des transferts appliqués aux franchises, le retour indispensable au week-end universel stricto sensu, le concours multiforme des élites expatriées et autres préoccupations majeures d'entrepreneurs en quête d'un meilleur climat des affaires possible. Comme on a pu le constater, beaucoup de questions pour certaines fondamentales, continuent à se poser, aussi bien, aux acteurs économiques (entreprises, banques, investisseurs, etc.) confrontés à d'inextricables difficultés de terrain, qu'aux acteurs politiques qui ont du mal à prendre des mesures législatives et réglementaires en cohérence avec les objectifs d'une politique économique suffisamment bien clarifiée. La non-réponse à ces questions explique en grande partie l'enlisement des réformes et l'immobilisme actuel de notre économie, avec tout le cortège de dérives (marché informel, instabilité juridique, détérioration du climat des affaires etc.,) que les patrons d'entreprises, en plein désarroi, sont contraints de subir.