L'ex-ambassadeur des Etats-Unis à Alger, Robert Ford, a, dans un mémo datant du 20 décembre 2007, et rendu public mardi soir par le site WikiLeaks, estimé qu'il ne fallait pas s'attendre à ce que la situation sécuritaire s'améliore en Algérie. «Se tournant vers l'avenir, nous pouvons imaginer que la situation de sécurité pourrait rester instable comme c'est le cas maintenant ou se détériorer», a-t-il écrit. Le diplomate a envoyé ce câble sept jours après les attentats à la bombe qui avaient ciblé les sièges du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) à Alger et le Conseil constitutionnel. «Aucun de nos contacts ne pense que les services de sécurité pourront empêcher plus d'attaques terroristes. Ils ne savent pas quand ces attaques pourraient arriver ou quelle en sera la forme. Il n'y a aucun signe qu'ils peuvent entièrement sécuriser la capitale», a-t-il noté. D'après lui, les autorités algériennes «n'appréciaient pas» de combattre désormais Al Qaîda (AQMI) et plus uniquement «le vieux groupe terroriste algérien GSPC de la fin des années 1990». «S'il a la supériorité militaire, le gouvernement algérien n'est pas exactement sûr de ce qu'il peut ou devoir faire face à une organisation terroriste capable de changer», a-t-il souligné. Il a remarqué que AQMI souscrit son action dans des buts «djihadistes internationaux» comprenant des attaques contre le gouvernement algérien. «Plus le gouvernement obtient des succès en mettant à mort des leaders terroristes du GSPC, plus des émirs sont recrutés sous la bannière d'Al Qaîda», a-t-il relevé. Il a observé que AQMI utilise «une variété de tactiques» pour discréditer les autorités algériennes. «Cela soulève lentement des problèmes parmi la communauté étrangère et parmi la population à Alger», a-t-il ajouté. «Par conséquent, l'ambassade a pris des mesures de sécurité plus strictes pour le personnel. Nous disons à la communauté non officielle dans des forums comme l'OSAC de faire de même», a-t-il préconisé. L'OSAC, qui relève du département d'Etat, s'occupe de la sécurité des diplomates américains à travers le monde et fait office d'instrument d'alerte. Malgré son activisme et sa propension à «copier» les techniques utilisées en Irak, Al Qaîda n'est, selon Robert Ford, pas en mesure de déstabiliser le gouvernement algérien. D'après lui, Al Qaîda serait incline à procéder à des enlèvements d'étrangers et à des attentats kamikaze. Il a relevé que durant les années 1990, au plus fort de la violence, un seul attentat-suicide a été enregistré en Algérie. Le câble est porteur d'une liste d'actions revendiquées par Al Qaîda depuis l'été 2006 et ce jusqu'à décembre 2007. «Al Qaîda Irak, qui a des liens avec des groupes djihadistes en Algérie, a une forte influence sur les éléments d'AQMI. Le kamikaze en juillet 2007 a été surnommé Abou Moussab parce qu'il était fasciné de Zarquaoui en Irak. Les vidéos d'AQMI ressemblent fortement à des vidéos de l'Irak en termes de musique utilisée, des citations coraniques et des tournages d'actions sur des cibles ennemies», a-t-il relevé (Robert Ford a servi pendant longtemps à l'ambassade américaine à Baghdad). Il a remarqué que AQMI a fait «une pause» dans le recours aux attentats à la voiture piégée. «Nous ne savons pas si cela est dû à des contraintes de ressources ou de décisions tactiques. Cela peut être une pause durable, mais nos renseignements sont incomplets pour prévoir la prochaine attaque quelle qu'en soit la forme qu'elle pourra prendre», a-t-il relevé. Citant Abdelmalek Sellal, ministre des Ressources en eau, le diplomate a noté qu'il était difficile d'imaginer des attentats-suicide perpétrés par des femmes en Algérie. Et reprenant les propos de Abdallah Djaballah, présenté comme «un leader politique conservateur et islamiste», rencontré le 17 décembre 2007, il a rapporté que les islamistes extrémistes, libérés en vertu de la charte pour la réconciliation, étaient frustrés. «Ils ne peuvent pas trouver d'emploi et n'ont aucun moyen de subvenir à leurs besoins. Ils sont faciles à recruter», a écrit Robert Ford. Il a également cité des déclarations de l'ex-conseiller à la présidence de la République, Abdelkader Djeghloul, décédé en 2010, qui a observé que l'extrémisme algérien était influencé par la situation en Palestine et en Irak. «Il existe un noyau dur de 5% qui sera toujours la peste en Algérie», aurait dit Abdelkader Djeghloul. Le diplomate a souligné que le gouvernement algérien tente de trouver «la meilleure façon» de contenir et d'éliminer le problème des extrémistes. «Contrairement à 1994-1996, l'armée algérienne et la gendarmerie peuvent se déployer à n'importe quel endroit du pays et établir immédiatement le contrôle. AQMI était obligée de dire dans un communiqué paru le 12 décembre (2007) qu'elle n'avait pas disparu», a-t-il noté. Reprenant le général Sfendji, directeur à l'époque des relations extérieures au ministère de la Défense, l'ambassadeur US a noté que l'armée algérienne a connu des succès dans les opérations air-sol combinées contre les groupes terroristes dans les régions montagneuses. «Mais elle ne pouvait pas arrêter les attaques suicide à Alger», a-t-il écrit, soulignant avoir rencontré Ali Tounsi, directeur général de la Sûreté nationale. «Tounsi a dit que des renforts de police seraient déployés dans la capitale dans les prochains jours. Il a refusé de donner plus de détails», a-t-il mentionné. «Sellal est en faveur de la poigne de fer. Toutefois, il a déclaré que la réalité politique actuelle ne permet pas une telle politique difficile», a-t-il relevé. Robert Ford n'a pas manqué de noter que Sellal est souvent cité dans «la short list» des candidats au Premier ministère. «Derrière les portes closes, les attentats du 11 décembre ont ouvert un débat pour savoir si le programme d'amnistie du président Bouteflika est approprié ou non. Certains dans les services de sécurité veulent rejeter ce programme et utiliser la poigne de fer», a-t-il écrit. Il a rapporté que le président Bouteflika, qui a rencontré le Premier ministre portugais le 16 décembre 2007, était apparu «secoué et incertain» après les attentats. «Ses conseillers apparaissaient tristes et Bouteflika lui-même ne savait pas quoi dire à la nation», a-t-il noté. Par ailleurs, les Etats-Unis ont demandé, fin décembre 2009, au ministère de la Défense algérien l'autorisation d'un survol d'un avion de reconnaissance de type EP3 pour s'informer sur les mouvements d'AQMI en Mauritanie et au Mali. Le gouvernement algérien a signifié que la récolte de renseignements ne doit pas concerner l'Algérie à moins que le gouvernement ne l'ait spécifiquement demandé.