Notre secteur public économique, adulé durant les années soixante-dix et quatre-vingt, diabolisé pendant les années du PAS (Plan d'ajustement structurel) jusqu'à l'apparition de la crise des subprimes, est de nouveau encensé et présenté comme le futur pilier de la construction de l'économie de marché en Algérie. Ce mouvement pendulaire est caractéristique des politiques économiques en Algérie. En période de vaches maigres, on adopte des politiques libérales, en période d'affluence, on devient adepte de l'hyper étatisation de l'économie. Certes, on tolère et on évoque l'importance du tissu de PME/PMI, mais mis à part les crédits à l'importation, les ressources bancaires allouées à ce secteur pour la création et le développement sont marginales, comparées aux allocations du secteur public. Le secteur de la PME/PMI représente plus de 70% de la valeur ajoutée hors hydrocarbures. Mais il reçoit moins de 30% du total des crédits bancaires (hors importations). Est-il possible de construire une économie viable avec de telles pratiques ? Considérations «théoriques» Une économie de marché peut s'accommoder de l'existence d'un secteur public économique. En plus de réguler, l'Etat peut détenir des participations minoritaires, majoritaires ou totales dans des entreprises stratégiques, de service public et parfois même dans des sociétés ordinaires. L'économie de marché n'évince pas totalement l'Etat de la sphère économique. L'expérience ne contredit pas la théorie dans ce domaine. Dans les années soixante-dix, l'Etat français disposait d'entreprises d'électricité, de véhicules, de transport et dans plusieurs autres domaines (la taille du secteur public économique avoisinait les 21% du PIB). La croissance économique du pays dépassait les 5%. Malgré les récents désengagements, plusieurs pays d'Europe sont encore en possession d'un secteur public appréciable. La vaste majorité des connaissances dont nous disposons (Main Stream Economics) ainsi que l'expérience acquise renvoient dos à dos deux conceptions abusives des modes de fonctionnement d'une économie de marché. Ces deux idées trompeuses sont :1. Le capitalisme ne peut fonctionner efficacement qu'avec un secteur privé qui englobe la totalité des activités économiques ; 2. L'économie de marché peut produire des résultats satisfaisants en disposant d'un secteur public économique dominant «l'économie de marché publique». Selon ce point de vue, on peut faire coïncider une hyper étatisation et l'efficacité économique. Ces deux positions extrêmes sont plutôt plus ancrées dans l'idéologie que dans le pragmatisme. Elles sont rejetées par la vaste majorité des économistes. La première est le prolongement de l'idéologie ultra libérale revendiquée par Frederick Von Hayek. La seconde est une version soft de l'ex-idéologie marxiste. Nous avons toute une littérature économique sur le comportement du secteur public : Public Choice Theory (théorie des choix publics). Cette branche de l'économie nous fournit de précieux renseignements sur les modes de fonctionnement de la sphère administrative et économique publique. Son chantre James Buchannan a été lauréat du prix Nobel d'économie en 1986. Il ne nous est pas possible de détailler les tenants et les aboutissants ainsi que la totalité des expériences analysées par cette école de pensée, du reste très précieuse pour comprendre une partie de la réalité. Les différents travaux de cette doctrine nous permettent de définir les conditions d'efficacité d'un secteur public. Nous pouvons en énumérer les plus importantes, à savoir :1. Le seuil : un secteur économique public limité qui ne dépasserait pas les 20 à 30% du PIB (hors hydrocarbures pour l'Algérie) ; 2. La compétition : il est impératif de soumettre ce secteur, autant faire ce peu, à des systèmes de compétition directe et indirecte. On encourage, par exemple, des sociétés d'autocar à rivaliser avec une entreprise publique de chemin de fer ; 3. Un minimum de prise de participation privée : il est nécessaire d'inciter les privées à prendre quelques participations privées dans les entreprises publiques de sorte à renforcer les contrôles, exiger plus d'audits et mettre plus de pression sur les managers pour de meilleures performances ; 4. Un équilibre entre les décisions politiques et les choix techniques. Ainsi, on pourrait envisager la création d'une commission parlementaire chargée de surveiller le secteur public. Les nominations de managers et les grands choix stratégiques doivent recevoir son approbation (mais faut-il que le Parlement dispose des moyens humains et de la marge de manœuvre nécessaires pour jouer son rôle) ; 5. Une régulation de qualité : au lieu d'avoir un Etat omniprésent et inefficace, l'économie de marché nécessite une administration plus réduite, mais plus experte. La qualité de ses directives, de ses actions, de sa vision et de sa régulation compense de loin son rétrécissement. Si nous avions les cinq conditions citées, nous pourrions avoir un secteur public réduit et efficace. Mais en l'absence d'une ou de plusieurs de ces exigences, il est très hasardeux de vouloir disposer d'un vaste secteur économique étatique. Nous devons garder présent à l'esprit cette contrainte lorsqu'on désire utiliser le secteur public comme moteur essentiel de la croissance économique. Le plus souvent, cet espace est sur-politisé. Les partis au pouvoir ont tendance à l'utiliser pour asseoir leur domination et en tirer des avantages économiques. C'est une tendance lourde qui semble transcender les frontières politiques et culturelles. Rien ne sert de se lamenter inutilement contre de telles pratiques. Il faut tout simplement mettre en œuvre des mécanismes qui limitent les impacts de tels procédés. Si un pays était peuplé d'anges, n'importe quelle économie fonctionnerait efficacement. Mais l'être humain est plus égoïste qu'altruiste (postulat de Tullock). Tout système économique devrait être conçu de sorte à utiliser le potentiel positif des ressources humaines et neutraliser leurs tendances à agir contrairement aux intérêts de la majorité. Ces avertissements valent pour tout essai d'ingénierie de système économique et par conséquent pour le dimensionnement du secteur public. Expérience algérienne Les pouvoirs publics algériens ont choisi de diagnostiquer, restructurer et relancer les industries du secteur public. Cette décision est lourde de conséquences. Nous avons, tant au niveau de la classe politique que dans la profession des économistes, des personnalités pour ou contre cette approche. Il va de soi que la complexité de la question est telle que nous ne pouvons qu'effleurer certaines particularités pertinentes. Il y a pratiquement une unanimité sur la préservation du caractère public des entreprises stratégiques du genre : Sonatrach, Sonelgaz, SNTF, Air Algérie, etc. Mais on pose la question légitime de l'existence d'entreprises publiques dans des domaines qui sont dans la vaste majorité des nations livrées à l'activité privée : textile, agro-alimentaire, bâtiment etc. En second lieu, les diagnostics, les restructurations et les assainissements répétitifs ont été tentés maintes fois avec toujours un échec flagrant en fin de course. Qu'est-ce qui est différent cette fois-ci ? Ou espère-t-on qu'en faisant la même chose plusieurs fois, on a une chance d'obtenir au moins un jour des résultats différents, ce qui est très peu probable. Alors pour améliorer la probabilité du succès de l'opération, n'a-t-on pas intérêt à mettre toutes les chances de réussite de notre côté ? Peut-on s'inspirer des conceptualisations théoriques pour concevoir une restructuration efficace ? En général, dans les pays sous-développés, le concept de théorie a une connotation péjorative. Il signifierait un ensemble d'élucubrations déconnectées de la réalité. Rien n'est plus éloigné de la certitude que cette allégation. Il faut de grandes capacités de discernement pour tirer profit de ce qui est connu sur l'efficacité du secteur public et l'adapter à l'environnement national. Mais négliger carrément les riches connaissances et expériences dans ce domaine serait lourdement pénalisant pour l'économie nationale. Conclusion Nous avons beaucoup de matériaux à considérer lors d'une reconfiguration d'un secteur public. On peut raisonnablement doser les ressources qui lui sont octroyées en fonction de sa taille. Il serait intéressant de procéder à des ouvertures minoritaires de capital et appuyer les nouveaux actionnaires par des bureaux conseil. Il y a lieu de se défaire des activités non stratégiques et encourager la compétition, au début nationale puis internationale, pour chaque segment retenu. La modernisation managériale du secteur bancaire est un préalable, de même que la réforme administrative. On voit mal un secteur public efficace dans les conditions juridiques et environnementales actuelles. Ce qui pose le problème de l'ingénierie des réformes dans leur globalité, car dans le contexte présent, chaque partie est en même temps victime et coupable des dysfonctionnements actuels. `