Le monde connaît depuis quelques semaines la crise financière et économique la plus grave depuis le krach des Wall Street en 1929. Sur le plan géostratégique, cette crise, qui a commencé aux Etats-Unis avec la crise dite des subprimes, a très vite dépassé les frontières du pays jusque-là le plus puissant économiquement pour s'étendre à l'Europe, à l'Asie et au Moyen-Orient. Sur le plan sectoriel, la crise est partie du secteur immobilier puis a affecté le secteur financier pour enfin toucher l'économie réelle dans une large mesure. Cette crise, qui est née à partir des entreprises, a aujourd'hui des répercussions sur les individus qui se sont trouvés touchés jusque dans leur épargne personnelle. Pour juguler ce processus de dégradation en cascade, le gouvernement américain, en la personne du secrétaire d'Etat au trésor, a adopté un plan de sauvetage connu sous le nom de son initiateur : le plan Paulson. Ce plan, qui consiste à injecter 700 milliards de dollars dans le système financier américain, remet en vedette le rôle de l'Etat dans un pays qui, jusque-là, s'est vanté d'être l'économie capitaliste par excellence où le marché est le moteur de l'activité économique. Les Etats-Unis sont-ils en train d'enterrer le système capitaliste qu'ils ont toujours défendu à l'intérieur comme à l'extérieur de leurs frontières ? Sont-ils en train de retourner au système interventionniste (socialiste/communiste) qu'ils ont toujours combattu ? C'est à cette question que nous essaierons de répondre dans cet article. Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de rappeler les trois piliers du système capitaliste classique. Les trois piliers du capitalisme Le capitalisme, qui est né de la pensée des économistes classiques tels qu'Adam Smith et développé par des économistes contemporains tels que Joseph Schumpeter, repose sur trois grands piliers : son but, son mode de fonctionnement et la nature de la propriété des secteurs économiques. Le premier pilier est le but même du capitalisme, à savoir la maximisation du profit. Ce profit est surtout le fait des entreprises et est défini comme la différence entre les recettes et les dépenses. Les entreprises ont donc pour motivation essentielle la réalisation du profit maximum qui se produit lorsque les recettes sont largement supérieures aux dépenses. A l'opposé, le but de l'interventionnisme — ayant pris la forme tantôt de socialisme, tantôt de communisme —est la satisfaction des besoins de la communauté toute entière. Ainsi donc, la différence essentielle entre le capitalisme et l'interventionnisme, c'est que le premier s'intéresse à la satisfaction des besoins des entreprises productrices tandis que le second se préoccupe de la satisfaction des besoins des consommateurs. Le second principe du capitalisme est son mode de fonctionnement. L'économie capitaliste fonctionne selon le mécanisme du marché. Selon ce mécanisme, c'est le libre jeu des forces du marché (l'offre et la demande) qui régule l'économie et qui permet de déterminer le prix d'équilibre (the market price), c'est-à-dire le prix d'équilibre. L'interventionnisme repose sur le rôle déterminant de l'Etat dans l'économie. Selon ce système, l'Etat doit jouer le jeu des forces du marché parce que ces dernières ne fonctionnent pas toujours comme le veut le modèle capitaliste classique ainsi que le démontre la crise financière actuelle. Le troisième pilier du capitalisme est la nature de la propriété. Dans l'économie capitaliste classique, c'est le secteur privé qui est le moteur (the engine) du développement économique et technologique. Au contraire, dans le système interventionniste, c'est le secteur public qui domine l'activité économique, le secteur privé — lorsqu'il est toléré — a une place marginale. En effet, pour les partisans du capitalisme, le secteur privé est l'agent économique le plus dynamique et le plus rationnel et permet de réaliser l'objectif qui est le maximum de profit. La crise financière réelle et actuelle remet donc en question deux des trois piliers du système capitaliste : le mode de fonctionnement et la nature du secteur économique. En effet, la crise a montré que le marché ne fonctionne pas toujours selon le modèle Adam Smithien, mais que dans certaines situations —comme celle des années 1929 et la situation actuelle — l'Etat doit s'ingérer et se substituer aux forces du marché afin de remettre les choses en marche. La crise actuelle a prouvé aussi que le secteur privé — ici le secteur financier constitué par les banques et autres institutions financières privées — ne fait pas toujours preuve du dynamisme et de l'éthique que lui reconnaissent les économistes classiques comme en témoignent les faillites et les regroupements bancaires actuels aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde. Face à cette crise et à ses effets de sape des deux éléments essentiels du capitalisme, les Etats-Unis ont proposé un Plan de sauvetage appelé plan Paulson. Que prévoit ce plan ? Quelles sont ses chances de « sauver » le capitalisme américain et l'économie mondiale de la récession ? C'est à cette question que nous tenterons maintenant de répondre. Le plan Paulson et ses chances de sauvetage Le 20 septembre 2008, le secrétaire d'Etat américain au Trésor, Henry Paulson a élaboré un plan appelé TARP (Troubled Asset Relief Program), plus connu sous le nom de son initiateur : le plan Paulson. Il faut tout de suite dire que Paulson avait, auparavant, un plan de réforme plus profond intitulé « Blueprint for a Modernized Financial Regulatory Reform », qui est un plan pour le long terme. Le plan Paulson du 20 septembre, qui est un plan à court terme et qui sera mis en œuvre par une nouvelle agence appelée Office of Financial Stability (OFS), se veut une réponse à la crise actuelle qui est née dans le secteur immobilier sous le nom de crise des subprimes et qui se manifeste par une contraction des liquidités sur le marché des crédits. La crise des subprimes, on le sait maintenant, s'est étendue au secteur financier et a eu des répercussions sur la solvabilité des banques d'investissement et autres institutions financières. Ce plan consiste pour le gouvernement américain à acheter pour une valeur de 700 milliards de dollars d'actifs douteux (dits toxiques) que détenaient les institutions financières. Le plan, qui est le résultat de consultations houleuses entre le secrétaire au Trésor Paulson, le président de la Federal Reserve, BenBernanke, le président de la U.S. Security and Exchange Commission, Christopher Cox, les leaders du Congrès et le président Bush, a pour objectif de trouver une solution rapide et efficace au problème créé par les actifs illiquides et d'accroître le degré de liquidité sur les marchés secondaires hypothécaires (Morgage Backed Securities, MBS). Ce premier « draft » du plan, qui n'avait que trois pages, comme on le sait, n'a pas été accepté par le Congrès. Après plusieurs tractations et amendements, un nouveau plan plus volumineux, qui sera examiné le 23 septembre par le Sénat puis redébattu au Congrès, a été finalement adopté. Ce nouveau plan prévoit à moyen terme de revendre les actifs illiquides achetés par le Trésor. L'effet immédiat de ce plan a été la chute de la valeur du dollar par rapport à l'or, à l'euro et au prix du pétrole ainsi qu'à l'accroissement de la dette publique américaine qui a déjà atteint son record historique de plus de 11 milliards de dollars. Le coût de ce plan est estimé à 2 295 dollars par citoyen américain et à 4635 dollars par travailleur. Les objectifs de ce plan ont été précisés par les deux principaux managers de la crise actuelle : le secrétaire d'Etat au trésor, Henry Paulson et le président de la FED, Ben Bernanke. Pour le premier, ces objectifs sont essentiellement de stabiliser l'économie, améliorer la liquidité, s'attaquer aux racines de la crise et prendre des actions immédiates pour résoudre la crise. Pour Bernanke, les deux objectifs majeurs du plan sont : - restituer la confiance chez les investisseurs. - améliorer l'impact sur l'économie réelle et la croissance. La réalisation de ces objectifs est d'autant plus souhaitée que plusieurs grandes et moins grandes entreprises sont en train de retirer leur argent des banques pour le placer dans des actifs plus sûrs tels que les bons du Trésor garantis par l'Etat. Ce retrait contribue à l'exacerbation de l'assèchement des liquidités dont les banques ont tellement besoin pour leur activité de prêts. Le plan Paulson, s'il a été accueilli favorablement par certains, a été vivement critiqué par beaucoup, non seulement les experts financiers mais les politiciens, les économistes et les journalistes. En particulier un groupe de plus de 250 économistes de diverses universités américaines a critiqué le plan sur plusieurs niveaux. Le premier reproche au plan est son iniquité : le plan est une subvention aux investissements faite aux dépens des citoyens. Les investisseurs (notamment les immobiliers) qui ont pris des risques pour réaliser des profits doivent être, selon ces économistes, ceux qui doivent supporter les pertes et non les citoyens. Le second reproche que ce groupe d'économistes fait au plan Paulson est son ambiguïté et son manque de transparence. Ils pensent que si les citoyens sont ceux qui doivent racheter les actifs illiquides et opaques, ils doivent en connaître les termes et les modalités et le mécanisme de rachat doit être supervisé par un organisme étatique. Le troisième défaut reproché au plan est son impact à long terme. En effet, les économistes pensent que, après son effet à court terme, le plan va durer pendant une génération. Comme on peut le voir, le plan Paulson, qui est apparu au départ comme une panacée à la crise actuelle que traverse la scène financière américaine et aujourd'hui internationale, est une sorte d'aveu de l'échec du capitalisme et de l'économie de marché à résoudre les crises. Le marché n'a pas fonctionné comme le prévoyaient les économistes classiques, et le secteur privé n'a pas fait preuve du dynamisme qu'ils lui attribuaient. Le capitalisme se retrouve donc avec un seul de ces trois pieds : le but, c'est-à-dire la réalisation du profit maximum. Les initiateurs du plan ont bien sûr l'espoir que, en agissant sur les deux autres piliers, ils garderaient intact l'objectif même du capitalisme. Ils vont même tout faire pour que ce pilier ne soit pas ébranlé, car il va de la survie même du système. La réponse à cette question ne pourra être connue qu'après quelques mois ou quelques années d'application du plan. Certains politiciens et économistes américains sont sceptiques sur les chances du plan de sauver le capitalisme américain. C'est le cas de Jim Bunning, sénateur républicain du Kentuky, qui a écrit à propos du plan : « This massive bailout is not a solution. It is financial socialism and it's un-American. » La sénatrice de New York, Hillary Clinton, a même été jusqu'à proposer de recourir à une institution déjà utilisée lors de la récession des années 1929, en l'occurrence la HOLC (Home Owners ' Loan Corporation) qui aurait pour tâche d'administrer un programme national pour aider les propriétaires immobiliers à refinancer les problèmes des « morgages ». Le capitalisme va-t-il survivre à la crise actuelle ? Nous ne le saurons que dans quelques mois ou quelques années. Arezki Ighemat : Professeur d'économie et de marketing, Master in Arts en littérature francophone