Les conditions de travail et de vie des marins à bord des navires de commerce ont fait l'objet d'un séminaire, hier, à l' Ecole supérieure maritime (ENSM) de Bou Ismaïl. La rencontre a levé le voile sur les difficultés rencontrées par les marins et la vulnérabilité du métier qu'ils font. Un métier à risque très méconnu, y compris de ceux qui l'exercent. De nombreux bateaux qualifiés d'«épaves flottantes» continuent de sillonner les mers alors que les accidents et les incidents à bord des navires sont en augmentation constante. «Ce qui fait apparaître la nécessité d'instaurer une démarche de prévention et d'amélioration des conditions de travail des équipages», affirme Abdelkader Boudjerra, consultant en sécurité maritime et portuaire. Intervenant hier lors d'un séminaire organisé à l'Ecole supérieure maritime (ENSM) de Bou Ismaïl, cet expert fera défiler quelques photos de navires algériens, pour montrer dans quelles conditions exercent les marins. Certaines sont révélatrices, comme celles des méthaniers, pétroliers, porte-containers, navires de passagers ou tout simplement des remorqueurs ayant plus de 30 à 40 ans d'âge et ne répondant plus aux normes de sécurité. Il dresse la liste des plus importants accidents et incidents qu'a connus la flotte algérienne, dont ceux de Ibn Khaldoun, Dahra, Castor et aussi le naufrage du Béchar et l'échouage du Batna. Il insiste beaucoup sur la formation à la prévention des risques, et note que dans chaque pays, l'autorité compétente devra prendre les décisions nécessaires pour que les accidents de travail fassent l'objet d'enquêtes, afin d'identifier les causes et permettre la mise en œuvre de mesures préventives. Cette rencontre scientifique se veut un espace de réflexion et d'échange pour dresser l'état des lieux et proposer des solutions à même de contribuer à la prévention des risques professionnels et des conditions de travail dans un monde où les armateurs, donc l'employeur, devient de moins en moins regardant sur les droits de ses employés. Ainsi, pour le Dr Lylia Bahmed, de l'Institut d'hygiène et de sécurité industrielle de l'université de Batna, «étant donné que 90% du commerce mondial s'effectue par voie maritime et que les navires utilisés sont plus respectueux de l'environnement avec une émission de gaz (à effet de serre) 5 fois moins importante que celle des véhicules et 13 fois moins que celle des avions, le transport maritime se présente comme une solution de développement durable». De ce fait, elle met l'accent sur la formation dans la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles à bord des navires qui, selon elle, doivent être une préoccupation majeure. Tout comme d'ailleurs pour l'amélioration des conditions de vie et de sécurité des équipages au niveau des ports. En effet, Dr Azzedine Kerma, enseignant à l'ENSM, estime que le développement des activités portuaires, notamment la modernisation du système de leur gestion, doit s'accompagner d'une amélioration des conditions de vie et de sécurité au niveau des ports, parce que «la rentabilité est toujours tributaire des conditions de travail». Abordant la question de la réglementation algérienne en matière du bien-être et de sécurité à bord des navires, Mme Meriem Smaïah, étudiante en master à l'Institut d'hygiène et de sécurité industrielle à l'université de Batna, revient sur les mesures préventives à même «d'optimiser le travail tout en garantissant la sauvegarde des vies humaines, la protection des biens et la préservation de l'environnement». Intitulée «Statut des gens de la mer en Algérie, entre l'autonomie et l'alignement au droit commun», la communication de Kamel Haddoum, maître de conférences à la faculté de droit de l'université de Boumerdès, dresse l'état des lieux de la législation en matière de protection des marins. Il explique que la spécificité du métier a rendu indispensable l'élaboration d'un régime juridique particulier qui a conduit au droit maritime, remis en cause par la suite, du fait de l'alignement généralisé aux règles du droit commun. «Le droit algérien n'a pas échappé à cette tendance, puisqu'il a oscillé entre l'autonomie après la promulgation du premier statut-type des gens de la mer en 1988, et l'alignement au droit commun consacré définitivement par le décret du 26 mars 2005 fixant le régime spécifique des relations de travail du personnel navigant, des navires du transport maritime, de commerce ou de pêche». Néanmoins, relève-t-il, ce décret comporte des insuffisances du fait, qu'il ne prend pas en considération la spécificité du droit du travail maritime qui a connu, «un bouleversement au niveau mondial, à la lumière de la convention internationale adoptée en 2006, et qui est devenue un des piliers de la sécurité et de la navigation». Par ailleurs, les docteurs Ali Azouaou et Semir Tark Maksen de l'ENSM ont abordé le volet de la problématique des «marins abandonnés». Il s'agit des équipages dont l'armateur refuse d'assurer la prise en charge des frais de rapatriement et d'au moins deux mois de salaire, les laissant sans ressources ni vivres, combustibles et soins médicaux. Il aborde quelques solutions, comme celle de rendre responsable l'armateur de la situation des marins qu'il embarque quels que soient leur origine ou le lieu de leur embarquement. Certains intervenants n'hésitent pas à rappeler qu'en haute mer de la Méditerranée s'exerce 10% du trafic maritime mondial, avec quelque 5000 navires. Un trafic qui a connu près de 300 accidents graves durant les 20 dernières années. Ce qui rend le débat sur la question de la sécurité des navires, des équipages et de l'environnement une préoccupation toujours d'actualité.