Alors que l'on parle avec insistance d'une importante opération militaire dans la wilaya de Boumerdès, la petite ville de Si Mustapha connaît une belle animation grâce à l'association. Afak Présente sur tous les fronts, cette ONG créée en 2000 incarne à elle seule la vivacité d'une société civile que l'on présente souvent comme amorphe et moribonde. Une ruche de semeurs d'espoir qui forcent l'admiration. Attentat à Si Mustapha», «Ratissage à Si Mustapha», «Le maire de Si Mustapha assassiné», «La brigade de gendarmerie de Si Mustapha cible d'une attaque terroriste»… C'est par ce genre de manchettes que la petite ville de Si Mustapha se rappelle généralement au souvenir de l'opinion depuis quelques années. Il faut dire que les raids meurtriers du GSPC et autres AQMI lui ont fait une publicité macabre comme à nombre de nos contrées qui ne sont exhumées de l'oubli qu'à la faveur de la chronique sécuritaire. Pourtant, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a une vie derrière ce rideau de terreur. La ville de Si Mustapha, située à une cinquantaine de kilomètres à l'est d'Alger, dans la wilaya de Boumerdès, était lumineuse ce mercredi 8 décembre. Et alors qu'une opération militaire se préparait dans la région, rien ne laissait présager que la guerre campait juste à côté. C'est même avec un grand soleil verdoyant que la ville nous accueille. Nous avons rendez-vous avec les animateurs de l'association Afak, une ruche de semeurs d'espoir qui incarne à elle seule toute la vivacité d'une société civile qui est loin d'avoir abdiqué, malgré la persistance du terrorisme, malgré la faillite de l'Etat sur bien des segments, malgré la sclérose au sommet. Nous l'avons découverte grâce à Yasmina Chouaki, porte-parole de l'association Tharwa Fadhma N'soumer qui est, d'ailleurs, du voyage. C'est à la lisière d'un terrain de basket, en plein centre-ville, que l'association a pris ses quartiers. Un slogan tagué sur un mur annonce la couleur : «J'aime la vie». «A l'époque coloniale, c'était un court de tennis ici ; ensuite, c'est devenu un stade de volley, puis de basket», explique d'emblée Rabah Merchichi, président de l'association. «Et c'est dans les anciens vestiaires que nous avons installé nos locaux», ajoute-t-il. Les membres de l'association ont fait preuve d'un grand sens de la débrouille pour réaménager les lieux à leur convenance. Une nuée d'enfants s'amuse sous le regard protecteur d'une éducatrice dévouée. Des jeunes écoutent de la musique. Au premier étage de la bâtisse, une bibliothèque propose quelque 2000 titres aux lecteurs. C'est la seule bibliothèque de la ville, nous dit-on. Dans un esprit écolo avant-gardiste, la bibliothèque est érigée avec des matériaux de récupération et des morceaux de bois bruts. Un kiosque abandonné qui puait l'urine a été réaménagé en médiathèque. Celle-ci a un toit transparent qui permet d'économiser la lumière. Dans un chalet transformé en espace d'animation pour enfants, se distingue une pièce en bois où l'on pratique le «kamishibaï», une «boîte à histoires» qui nous vient du Japon, et qui permet de raconter une histoire avec des images. «Nous avons également une troupe théâtrale, un groupe de musique et, cerise sur le gâteau, nous avons même une fanfare», indique Rabah, avant de souligner : «Tout le monde vient répéter ici, les musiciens de Si Mustapha, mais aussi ceux des Issers et de Bordj Menaïel.» On l'aura compris : la force de Afak est qu'elle se déploie sur tous les fronts. Elle a en outre la particularité de prendre en charge le jeune public de Si Mustapha depuis la petite enfance. Des activités ludiques, culturelles et sportives sont ainsi proposées aux différentes tranches d'âge. Même la pétanque et le jeu d'échecs y ont leur place. «faire barrage aux semeurs de mort» «Notre objectif, en créant cette association, était de barrer la route à l'intégrisme. Et c'est par notre présence active sur le terrain que nous avons fait échec à l'islamisme», confie Rabah Merchichi. «Pendant le Ramadhan, par exemple, nous redoublons de vigilance. Aux associations islamistes qui veulent faire dans le caritatif, nous leur disons : il y a des pauvres toute l'année.» Cette présentation recueillie dans une brochure résume parfaitement, nous semble-t-il, le projet et «l'esprit Afak» : «Afak, c'est l'histoire d'un groupe de jeunes qui, en pleine tourmente terroriste, ont cru en leurs idéaux et à la nécessité de sauver leur commune d'un anéantissement annoncé. La lucidité des membres a été d'avoir compris que pour assécher le terreau dans lequel viennent puiser les semeurs de mort, il fallait occuper l'espace laissé vacant, et offrir aux jeunes une autre alternative que l'embrigadement idéologique moyenâgeux.» La tradition militante à Si Mustapha se limitait à l'UNJA, le PAGS, et c'est à peu près tout, se souvient Rabah. Après, il y a eu le rouleau compresseur du FIS. Afak s'est vite distinguée comme la première véritable initiative citoyenne au sein de la ville, avec, à la clé, un «projet moderniste» dans ses bagages. «L'association a reçu officiellement son agrément le 26 mars 2000», indique Boualem Ouaras, administrateur de l'association, avant d'ajouter : «Nous comptons aujourd'hui 167 adhérents cotisants.» Rabah précise, toutefois, que sur le terrain l'association activait déjà bien avant : «Notre baptême du feu a été en 1998 avec l'organisation d'une colonie de vacances au profit des enfants des victimes du terrorisme», raconte-t-il. L'association enchaîne par la commémoration du premier anniversaire de la disparition de Matoub Lounès. Afak démarre ainsi sur les chapeaux de roue. Suite au séisme du 21 mai 2003, cette ONG devient l'un des principaux relais pour l'acheminement des aides au profit des sinistrés, une mobilisation qui la rapprochera davantage de la population. En 2006, l'association se tourne vers les femmes par la création d'une coopérative apicole 100% féminine (lire encadré). Une expérience pilote dans la région. Soucieuse d'injecter de la gaieté dans un climat pas toujours joyeux, l'association multiplie les actions de proximité, notamment en direction des enfants : «Nous organisons régulièrement des excursions, des sorties en mer ou en montagne, des visites aussi aux musées ainsi que sur les sites qui présentent une curiosité quelconque. Nous avons initié également des échanges avec les enfants du Sud», dit Rabah. Trois subventions en dix ans En 2006, Afak se lance dans un immense chantier. Un programme de formation de trois ans, à l'attention des éducateurs et des animateurs associatifs, ceci sous la houlette de l'ONG européenne CISP (basée à Rome). Intitulé «Appui à l'éducation à la citoyenneté», ce cycle de formation est financé par la Commission européenne. «De grandes violences politiques liées, d'une part, au terrorisme et, d'autre part, au mouvement dit du ‘‘Printemps noir'' soumettant les populations à de grandes souffrances et de sévères répressions, ont fragilisé et rendu vulnérables les populations des régions de Kabylie et de Boumerdès», peut-on lire dans le préambule d'un document du CISP relatif à ce programme. Et de poursuivre : «Le mal-être généralisé a généré à son tour la généralisation de la violence dans les rapports sociaux quotidiens. La violence est devenue dans ces régions un mode de communication banalisé». Ce projet, selon le même document, vise «le soutien et la valorisation des pratiques citoyennes, le développement de la culture de la paix, la transmission des valeurs de la démocratie et de la citoyenneté, la reconstruction du lien social des familles en difficulté, et le dialogue entre la société civile et les institutions». Raïhana, une animatrice très active au sein de l'association, témoigne : «Nous avons acquis une riche expérience grâce à cette formation. Nous avons été initiés, entre autres, à une technique appelée ‘‘la gestion positive des conflits''. Elle est basée sur des jeux de coopération. Cette formation nous a permis de développer de nouveaux outils pédagogiques sous une forme ludique, et cela permet d'améliorer les résultats scolaires». A telle enseigne d'ailleurs que des sessions de formation sont assurées désormais par des membres d'Afak au profit de certaines écoles. «Nous avons dispensé des formations dans trois écoles pilotes, à Si Mustapha, aux Issers et à Bordj Menaïel», affirme Rabah Merchichi. Autant d'initiatives qui portent déjà leurs fruits. Dire qu'en dépit du travail colossal qu'elle fait sur le terrain, Afak n'a obtenu que trois modiques subventions en dix ans…