La poésie de Véronique Tadjo (1) est marquée par une vision du monde historique, mais inachevée. «Mélangeant prose et versification, le texte poétique se déroule comme une histoire sans histoire.» (2) Cependant, toute pensée, tout sentiment n'y sont jamais séparés du temps et de l'espace, ni gratuits ; ils paraissent dans leur «histoire», dans leur lieu avec le «sentiment du monde». L'amour, thème principal et permanent, ne s'enferme pas en lui-même. Sa valeur autonome, symbolique, son unicité se manifestent tout particulièrement à travers rythmes et images d'une extrême sensualité : «Parle-moi De la femme aux seins lourds Et au ventre-calebasse Dans la fournaise intense D'une nuit sans demain». Mais la mémoire exigeante de Véronique Tadjo ne permet pas de vivre sur l'acquis, elle ne souffre d'aucune sorte de coquetterie, de préciosité. La métaphore-symbole recouvre l'image de «l'Africain», le destin unique d'un «continent» au cœur desquels jamais ne se taira l'écho du conflit, du martyr. Le dramatisme aigu des poèmes de Véronique Tadjo n'est pas le tribut de l'âge. Quoique le caractère de sa poésie, la noblesse, la dignité et la concision, qui font les traits essentiels de son style, se soient manifestées avec le plus de force et de rigueur à l'âge mûr. Mais dès le premier recueil, paru en 1983, sous le titre Latérite, le public notait comme qualité singulière de sa poésie une certaine «complexité dans la simplicité», un certain jeu, des humeurs ; cependant, sa poésie est au diapason de son «temps» : «Il faut que tu reviennes De cette longue chevauchée De cet exil sans fin Au plus profond de toi Viens boire à chaque bouche La clameur de ton peuple Tu as trop d'espoirs A féconder Trop de chaînes à éclater». L'originalité de Véronique Tadjo tient à la façon dont elle s'écoute, dont elle écoute son temps et dont elle transpose les «problèmes et les espoirs de son Afrique». Elle écoute et observe aussi le mystère de l'être. Ce que dit Pablo Neruda : «Pour devenir poète, il faut être tourné constamment face à l'océan», la concerne pour une grande part. L'océan, c'est la vie. La vie avec ses abysses et ses tempêtes, ses naufrages et ses conquêtes. Véronique Tadjo ne «ferme» jamais sa porte, la discussion est possible entre le monde et l'homme : «Chante-moi L'histoire De l'homme-labeur Sa sueur brûlante Et la terre trop rouge.» La poésie de Véronique Tadjo est celle d'une femme dont l'œuvre reflète une époque tourmentée.