L'Etat ne crée pas de richesses. Son rôle premier est d'aider les entreprises à produire le maximum de biens et de services pour assurer le bien-être de la population. Son deuxième rôle est d'intervenir pour assurer une meilleure répartition de la richesse. Son troisième rôle est d'assurer toutes les conditions de sécurité, de justice et d'administration afin que le système politique, économique et social fonctionne convenablement. Toutes les institutions (armée, police, justice, éducation, aide sociale) ont besoin de ressources pour fonctionner. Mais seule l'entreprise produit les richesses matérielles dont a besoin la nation pour avancer. Lorsqu'un Etat finance des aides pour faciliter le crédit ou réduire la fiscalité, il a parfois l'impression de jouer le rôle bienfaiteur, mais les ressources tirées ne sont que des richesses produites par l'entreprise (ou parfois une rente, la situation est alors précaire). On voit bien que tout le tissu institutionnel fonctionne avec la richesse produite par l'entreprise. Sans elle, point de sécurité, ni de justice, ni d'éducation et encore moins de dépense sociale ; il n'y aurait point d'Etat. C'est l'entreprise qui fait la puissance d'une nation. Si aujourd'hui les USA sont la première puissance mondiale c'est parce que l'entreprise américaine innove, exporte, crée des emplois et paye des taxes à l'Etat américain avec lesquelles il finance une armée, une administration et des programmes scientifiques modernes et de haut niveau. Pourquoi rappeler des évidences ? Parce que nous avons deux alternatives de politiques économiques. La première commence par l'évaluation des besoins de fonctionnement et d'équipement de l'Etat. Le budget est d'abord conçu en fonction des salaires, des besoins sociaux, et des équipements minimum à réceptionner. Les dispositions budgétaires prévoient des lignes de dépenses pour financer ces besoins d'abord. Par la suite, ce qui reste comme ressources on l'affecte pour aider les entreprises à se développer et croître (réduction fiscale, crédits, appui à l'exportation, aide à la recherche et le développement, etc.). Une culture nationale qui met l'entreprise au second rang voit le jour. L'administration prime sur l'entreprise. Les industriels se trouvent négligés, voire peu considérés par un tissu institutionnel qui croit que l'entreprise doit lui être assujettie. Le climat des affaires se détériore. L'économie se fragilise et dérape ou survit principalement à cause d'une rente. Si les entreprises ne financent pas la croissance, le budget de fonctionnement et d'équipement chute et le pays s'enfonce dans une dangereuse précarité. La seconde alternative consiste à mettre l'entreprise au centre des préoccupations des politiques économiques. Beaucoup d'Etats prétendent le faire. Cela implique que les dispositions budgétaires commencent d'abord par les besoins de l'entreprise. On se pose la question suivante : quelles sont les décisions que nous devons prendre pour rendre l'entreprise nationale (publique mais surtout privée) compétitive ? Là, nous évaluons le taux de création d'entreprises par rapport au potentiel, les investissements productifs, le financement et les goulots d'étranglement qui empêchent le développement de l'appareil productif. On évalue les contraintes externes : qualité des ressources humaines disponibles, pratiques administratives et toutes sortes d'embûches au développement d'un appareil de production efficace. On priorise les actions et les dépenses qui vont booster le développement d'entreprises efficaces. A moyen terme, cette démarche aboutit à de bien meilleures performances économiques qui, de surcroît, sont pérennes. Mettre l'entreprise au centre de ses préoccupations est une pratique. Elle est intégrée dans toutes les politiques publiques : plans de relance, développement sectoriel, budget d'Etat, etc. Beaucoup d'Etats affirment que l'entreprise est leur priorité, mais leurs choix contredisent gravement leurs assertions. La productivité en action L'alternative deux améliore grandement l'efficacité des entreprises. La productivité des facteurs s'améliore. La productivité du facteur humain se mesure traditionnellement par la production totale divisée par l'effectif : c'est ce que produit une personne par année (on peut parler également de productivité financière ou on divise la valeur ajoutée par l'effectif). La productivité du capital se mesure par la production totale divisée par la valeur du capital engagé. Mais en analyse macroéconomique, la situation est plus simple : l'équation revient à comparer combien on injecte de ressources dans l'économie et que produit l'économie avec ces ressources. A titre de comparaison : durant la décennie des années soixante-dix, considérée par beaucoup d'économistes, à tort, comme une décennie de développement, chaque année l'Etat investissait l'équivalent de 40 à 45% du PIB (produit intérieur brut) dans l'économie pour créer un tissu industriel. Les ressources provenaient des hydrocarbures et de l'endettement. On avait une croissance de 6 à 7%. Au même moment, la Corée du Sud s'industrialisait. Elle mobilisait 18 à 20% du PIB en investissement. Sa croissance avoisinait les 8%. On injectait deux fois plus de ressources pour avoir une croissance plus faible. Les néophytes en management diraient qu'on était en situation d'apprentissage. Ils ignorent que cet «apprentissage» va devenir une culture d'entreprise qui va conditionner de nombreuses générations à venir. En Corée, l'apprentissage managérial fut instantané. La situation s'est nettement détériorée durant les décennies quatre-vingt et quatre-vingt-dix. L'entreprise est-elle au centre des politiques économiques en Algérie ? Prenons les données. Durant le dernier plan de relance, l'Etat injectait en moyenne trente milliards de dollars dans la sphère économique. Ce qui représentait presque le tiers de la production nationale hors hydrocarbures. La croissance moyenne fut de l'ordre de 6%. La productivité des facteurs, déjà faible, décline. C'est-à-dire un dinar injecté produit moins que sa valeur et de moins en moins. Nous avons deux situations possibles. La première serait que l'on n'a pas priorisé l'entreprise productrice de biens et de services. La seconde est qu'on n'a su concevoir des politiques publiques d'efficacité. Ceci n'exclut pas que certains secteurs soient un peu plus performants que d'autres. L'agriculture qui vient de réduire la facture alimentaire de près de 3 milliards de dollars a été relativement plus performante, même si beaucoup d'améliorations restent à faire. Beaucoup diraient que nous sommes en train de moderniser les infrastructures, d'apprendre à améliorer le climat des affaires ; par la suite, on passera à une véritable politique de l'offre. Aucune position n'est totalement erronée. Il y a du vrai dans cette assertion. Mais les politiques économiques, qui ont réussi partout, avaient privilégié l'entreprise et le développement qualitatif humain, comme accompagnement, dans leurs choix prioritaires. Pourquoi ne ferions-nous pas tout de suite les bons choix ? Conclusion : Si on veut évaluer correctement l'efficacité des politiques publiques, il faut prendre comme repère la productivité : c'est-à-dire ce que produit pour le pays chaque dinar injecté dans l'économie. Pour avoir une croissance de 6%, on est efficace si on injecte X% des ressources, mais pas 5 fois X%. Beaucoup de centres de recherche analysent la productivité des pays. Le Femise le fait pour la région méditerranéenne. La productivité, au mieux stagne, en Algérie. Nous devons mettre l'entreprise au centre de nos préoccupations, car c'est la seule institution capable d'améliorer la productivité et donc notre efficacité économique. Mais cela implique des mutations profondes dans nos méthodes de conception des choix sectoriels, des plans de relance et des méthodes d'élaboration budgétaires. Le prochain programme de relance devrait s'appeler «plan entreprise». Nous avons engagé une course contre la montre pour ériger une économie productive et efficace hors hydrocarbures. Ce qui se passera au sein de nos entreprises présentes et futures conditionnera la réussite ou l'échec de cette tentative. La productivité devrait dorénavant être le principal indicateur de l'efficacité des politiques publiques.