Depuis près de trois années, il ne se passe pratiquement plus une semaine sans qu'un navire ne soit attaqué par des pirates dans le golfe d'Aden. Détourné samedi dernier au large de la Somalie avec sa cargaison de clinker, le MV Blida est la proie typique des flibustiers somaliens : un vraquier céréalier de 26 000 tonnes battant pavillon algérien, avec à son bord 27 membres d'équipage dont 17 sont de nationalité algérienne. Le capitaine du navire ainsi que cinq membres d'équipage sont, rappelle-t-on, ukrainiens. Les quatre autres membres sont originaires des Philippines, de Jordanie et d'Indonésie. Nacer Mansouri, directeur général de la société IBC, armateur du MV Blida a indiqué, hier, à El Watan, que pour le moment, «aucun contact n'a été établi avec les pirates». «Les moyens de communication sont coupés et à l'heure où je vous parle, aucun contact n'a été établi avec le navire», a précisé M. Mansouri, ajoutant qu'une cellule d'aide aux familles des marins enlevés a été mise en place. Quoi qu'il en soit, les familles des 27 membres d'équipage doivent s'armer de patience car l'expérience a montré que les pirates, souvent, ne sont pas pressés de libérer leurs otages. Le but : en tirer le prix fort et s'en servir, au besoin, comme bouclier humain pour attaquer d'autres navires. Selon l'association Ecoterra International spécialisée dans les questions de piraterie, 669 marins ont été capturés à ce jour. La plupart d'entre eux «croupissent au fond de leur bateau dans la chaleur et l'obscurité». Des centaines de marins ukrainiens, yéménites ou philippins capturés par des pirates somaliens et souvent abandonnés par leur gouvernement – ou leur employeur – attendent ainsi depuis des mois une hypothétique libération. Dans ce business qui attire de plus en plus de monde dans la région, il n'y a pas que les pirates qui s'en mettent plein les poches. Il ressort ainsi que les propriétaires des navires piratés ont aussi intérêt à ce que les otages ne soient pas libérés rapidement. Car plus un détournement dure, plus le propriétaire ou l'affréteur du navire peut obtenir un maximum d'argent s'il bénéficie d'une bonne assurance. L'association Ecoterra révèle à ce propos que «des négociations qui pourraient être bouclées en trois ou quatre semaines peuvent s'éterniser pendant des mois en l'absence d'un interlocuteur qui ait à cœur le sort de l'équipage». Il faut dire qu'avec le temps, les pirates qui écument les eaux au large de la Somalie sont devenus plus audacieux et demandent des rançons toujours plus élevées. Les hauts responsables de l'ONU se disent «très inquiets» par la situation qui prévaut dans le golfe d'Aden. Il y a de quoi : les pirates ont kidnappé presque 150 victimes en près de deux mois et piratés 40 navires. Avec un tel bilan, les éléments d'AQMI apparaissent presque comme des enfants de chœur. Malgré cela, les forces navales internationales au large des côtes de la Somalie parviennent quand même à déjouer de plus en plus d'opérations de piraterie. Les chiffres prouvent toutefois que la piraterie somalienne est un danger dont l'ampleur dépasse les efforts déployés actuellement par la communauté internationale pour l'endiguer. Ces efforts se heurtent à une série d'obstacles parmi lesquels l'absence d'une prise en charge judiciaire des pirates arrêtés par les forces navales étrangères dans l'océan Indien. Un business qui rapporte gros Le secrétariat général des Nations unies précise, dans un rapport rendu public en novembre dernier, qu'environ 700 pirates présumés arrêtés durant le premier semestre 2010 ont été immédiatement relâchés. Les raisons sont multiples : absence de preuves matérielles suffisantes pour étayer un dossier judiciaire, complexité du cadre juridique, difficultés pour trouver un Etat de la région acceptant de les accueillir, etc. Devant cet état de fait, la communauté internationale tente de mettre sur pied un réseau de pays dans la sous-région acceptant de poursuivre sur leur sol les pirates somaliens, moyennant un appui juridique et financier, notamment via l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Le Kenya a été le premier, en décembre 2008, à accepter de juger des pirates présumés arrêtés en dehors de ses eaux territoriales et a signé une série d'accord en ce sens avec l'UE, les Etats-Unis ou encore la Grande-Bretagne. Les Seychelles ont suivi, en février 2010, à condition que les pirates condamnés purgent leur peine ailleurs. Mais depuis, la mécanique régionale s'est grippée. Entre-temps, la piraterie en Somalie est devenue un business très lucratif qui est parvenu à étendre ses tentacules jusque dans certaines monarchies du Golfe. C'est là, affirme-t-on, que se déroulent certaines négociations liées à des prises d'otages en Somalie. Des experts internationaux assurent que les importantes rançons touchées par les pirates somaliens excitent la convoitise et alimentent une économie parallèle dans toute la région et au-delà. «S'il a commencé de façon artisanale, le business de la piraterie au large de la Somalie est désormais aux mains de gangs structurés, riches, disposant de réseaux de financement, de renseignement et de négociation dans plusieurs pays», souligne-t-on. Selon une étude menée par des chercheurs de l'institut londonien Chatham House, ce sont plus d'une centaine de millions de dollars que les pirates ont engrangé ces deux dernières années. Pour négocier, toucher et éventuellement recycler de telles sommes, les clans somaliens spécialisés dans la piraterie ont réussi à trouver de «l'aide». Actuellement, ils disposent de solides réseaux de «correspondants» dans la région. Cela leur permet non seulement de négocier les rançons, mais aussi de transférer hors de la Somalie une partie de l'argent.