La peur s'est installée. Après une année riche en stigmatisation et débats sur l'Islam et les musulmans – burqa, prière dans la rue, laïcité, (in)compatibilité Islam/Occident – le dernier sondage révélé par le Monde vient exhiber le fossé entre indigènes et allogènes. Selon un sondage Ifop-le Monde, 42% des Français interrogés considèrent les musulmans «plutôt comme une menace» et 22% les voient comme «un facteur d'enrichissement culturel» – pour 36%, ils ne sont «ni l'un ni l'autre». Paris. De notre correspondant
Les Allemands sont respectivement 40%, 24% et 36% à donner ces réponses. La présence des musulmans est perçue «plutôt comme une menace pour l'identité» nationale par environ 40% de la population en France et en Allemagne, deux pays traversés par des débats sur l'immigration et son impact sur des sociétés de tradition chrétienne. Le discours de l'extrême-droite européenne sur «l'islamisation» du vieux continent a porté ses fruits. Et en France, le débat biaisé sur l'identité nationale a laissé des traces. On retient de ce sondage la crispation des opinions publiques allemande et française, qui se disent inquiètes de la non-intégration des musulmans. Ce chiffre aurait pu être plus important au regard du matraquage médiatique et politique. La thématique anti-Islam est politiquement très rentable. Dans les deux pays, une forte majorité répond que l'intégration des musulmans ne s'est pas faite. Ils ne sont «pas du tout» ou «plutôt pas intégrés» pour 68% des Français et 75% des Allemands. La France compte entre 5 et 6 millions de musulmans et l'Allemagne près de 4 millions. Les deux pays sont régulièrement la proie de débats fiévreux, par exemple sur l'interdiction du voile intégral ou sur les prières du vendredi dans la rue en France, sur l'intégration en Allemagne où la chancelière Angela Merkel a même reconnu «l'échec du modèle multiculturel».«Malgré une histoire coloniale différente, une immigration différente et des modes d'intégration différents, il est frappant de relever que le constat, dur et massif, est le même dans les deux pays. On passe en outre d'un lien entre immigration et sécurité ou immigration et chômage au lien entre Islam et menace identitaire», relève dans le Monde Jérôme Fourquet, de l'institut de sondage Ifop. Le syndrome suisse Une des questions du sondage porte sur «l'influence et la visibilité de l'Islam». 55% des Français et 49% des Allemands les jugent «trop importantes» ; 39% des Français et 55% des Allemands sont hostiles à la construction de mosquées ; 59% de Français et 42% d'Allemands au port du voile ou du foulard dans la rue. Ils sont plus réfractaires encore à cette tenue dans les écoles publiques (90% en France et 70% en Allemagne). Sur les raisons de la mauvaise intégration des musulmans, les Français et les Allemands citent en premier «leur refus de s'intégrer» (61 et 67%), puis les «trop fortes différences culturelles» (40 et 34%) avant «le fait que les personnes d'origine musulmane soient regroupées dans certains quartiers et certaines écoles» (37 et 32%) et «le racisme et le manque d'ouverture» des pays d'accueil (18 et 15%). «On traverse une période difficile liée à la nouvelle visibilité de l'Islam. Mais les crispations sont principalement dues aux groupes rigoristes qui créent un sentiment de peur», analyse Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Il appelle les musulmans à éviter «tout ce qui peut attiser les tensions».