Les tests ADN, l'accueil et les expulsions des étrangers, le port du voile et celui de la burqa ont longtemps alimenté la polémique au sein de la classe politique française. «Ce que Sarkozy propose, c'est la haine de l'autre», a déclaré dans une interview publiée, le 26 décembre, par le quotidien français Le Monde, l'historien et démographe Emmanuel Todd. Ce constat est établi par une personnalité incontournable en matière d'observation de la vie politique française et internationale. Emmanuel Todd est très souvent consulté par les médias. Le débat sur l'identité nationale en France, qui a touché de plein fouet la sphère du religieux et mis sur le devant de la scène la communauté musulmane, l'a fait réagir pour la première fois. Ses déclarations au journal Le Monde constituent un fil conducteur précieux pour comprendre les dérapages issus des politiques d'immigration et d'intégration prônées par le successeur de Jacques Chirac. Des sujets qui se télescopent. Propices à l'amalgame et à la stigmatisation, ils alimentent le discours officiel distillé, il faut l'avouer, de manière maladroite pour ne pas dire brutale. Ses pourfendeurs le trouvent carrément raciste. Le moment est sans doute propice pour remettre sur le devant de la scène le thème favori de la droite classique, mais chasse gardée du Front national, parti xénophobe par excellence: les immigrés. Particulièrement les Maghrébins. Et essentiellement les Algériens. Le sujet est aussi ancien que l'histoire de la France moderne. La colonisation de ses anciens territoires constitue le déterminisme, l'essence même de sa politique en matière d'immigration. Remonter aussi loin dans le temps n'est pas aussi nécessaire pour expliquer les dérapages récents d'hommes politiques autour desquels s'articule l'action du gouvernement à l'approche d'échéances électorales que Nicolas Sarkozy a fait pratiquement siennes: Les régionales de mars 2010. Un test grandeur nature qui serait de bon augure pour sa réélection en 2012 si le parti qui le soutient, l'UMP, venait à largement triompher. Il faut donc ratisser large et rogner, sans état d'âme, dans le réservoir des électeurs de l'extrême droite. La peur de l'étranger mobilise surtout en période de crise. Les tests ADN, l'accueil et les expulsions des étrangers, le port du voile et celui de la burqa ont longtemps alimenté la polémique entre le parti de la majorité présidentielle, ceux de l'opposition (PS, PC, Verts, extrême gauche...), et les associations antiracistes (SOS Racisme, Mrap...). Cependant, le débat sur l'identité nationale, qui est une des promesses électorales de Nicolas Sarkozy en 2007, lancé par son ministre de l'Immigration au mois d'octobre dernier, a constitué le point culminant de la stigmatisation des musulmans en France. Il a été précédé de quelques jours, le 5 septembre, par la sortie médiatique de Brice Hortefeux qui s'est moqué de l'origine arabe d'un jeune militant de sa propre formation politique. Le ministre de l'Intérieur a été qualifié de «gros raciste» par l'ex-garde des Sceaux, Rachida Dati. Symbole de la diversité voulue par le chef de l'Etat français, elle est actuellement députée européenne. Plusieurs ministres femmes, issues de l'immigration, ont été nommées au sein de son gouvernement. Que pense Emmanuel Todd de cette initiative? «L'habileté du sarkozysme est de fonctionner sur deux pôles: d'un côté la haine, le ressentiment; de l'autre côté la mise en scène d'actes en faveur du culte musulman ou les nominations de Rachida Dati ou de Rama Yade au gouvernement. La réalité, c'est que dans tous les cas, la thématique ethnique est utilisée pour faire oublier les thématiques de classe.» L'analyse tranchée de l'historien français est corroborée, sans faille et sans conteste, par les propos tenus par la secrétaire d'Etat à la Famille. Le 14 décembre, dans la petite ville de Charme dans les Vosges, un jeune militant l'a interrogée sur la compatibilité de l'Islam et de l'identité nationale. «On ne fait pas le procès d'un jeune musulman. Sa situation, moi je la respecte. Ce que je veux c'est qu'il se sente français lorsqu'il est français. Ce que je veux c'est qu'il aime la France, c'est qu'il trouve un travail et qu'il ne parle pas le verlan. C'est qu'il ne mette pas sa casquette à l'envers», a répondu Nadine Morano. Interrogé sur l'utilité d'un débat sur l'identité nationale française, Emmanuel Todd s'est montré plus serein que ceux qui l'ont initié. Il dénonce son instrumentalisation. «Comme je l'ai souligné dans mon livre, Le destin des immigrés (Seuil), en 1994, la carte du vote FN était statistiquement déterminée par la présence d'immigrés d'origine maghrébine, qui cristallisaient une anxiété spécifique en raison de problèmes anthropologiques réels, liés à des différences de systèmes de moeurs ou de statut de la femme. Depuis, les tensions se sont apaisées. Tous les sondages d'opinion le montrent: les thématiques de l'immigration, de l'Islam sont en chute libre et sont passées largement derrière les inquiétudes économiques», a-t-il déclaré aux journalistes du Monde. Depuis, les dérapages suscités par ce fameux débat sur l'identité française, c'est l'ensemble de la presse internationale qui se gausse de «la mauvaise idée de Sarkozy». Le Washington Post décrit «une France mal à l'aise avec ses 5 millions de musulmans» après la profanation de la mosquée de Castres. Le Times de Londres décrit Eric Besson comme «l'homme le plus haï de France». Tandis que pour le Magazine Times, du moment où le ministre de l'Immigration continue de bénéficier du soutien de Sarkozy, il continuera à traîner «la parfaite figure de l'idiot flagorneur d'une comédie de Molière». Une image qu'il s'est façonnée auprès des médias et des intellectuels de gauche. Comme une anguille, le débat sur l'identité nationale glisse d'entre les doigts de son concepteur: Nicolas Sarkozy. Au même titre que la burqa qui n'est pas «la bienvenue en France», lui aussi ne semble pas vouloir s'installer et prendre racine dans l'Hexagone. Comme un éternel étranger.