De violentes émeutes du pain aux portes du pouvoir Près d'une semaine après le début des émeutes, les autorités continuent à se retrancher dans un profond mutisme. A l'exception de l'intervention, jeudi, devant les caméras de la télévision et les micros de la Radio nationale, du ministre du Commerce, Mustapha Benbada, qui est revenu sur les «raisons» de la flambée des prix de certains produits de large consommation, comme le sucre et l'huile, et qui, par ailleurs, a promis «un retour à la normale à partir de la semaine prochaine», aucun responsable important de l'Etat n'a encore daigné s'adresser à la population pour la rassurer. Au moment où les rumeurs évoquant un embrasement général se sont répandues comme une traînée de poudre et où, à Alger, les manifestations se sont étendues jeudi soir à la station balnéaire de Staouéli où résident les principaux décideurs politiques du pays et aux nouveaux quartiers résidentiels de Draria et de Chéraga, il était pour ainsi dire impossible, hier, de recueillir un avis officiel sur la situation quasi insurrectionnelle qui prévalait dans plusieurs villes du pays. Les services de sécurité ont été très peu communicatifs concernant l'étendue et le bilan de ces émeutes que l'on explique par la cherté de la vie et qui ont pour point de départ Fouka, une petite localité de Tipasa. Tous les policiers accostés ou sollicités ont gentiment refusé de s'exprimer à la presse. Toutefois, un officier de police a indiqué sous le couvert de l'anonymat que «cette explosion sociale était prévisible depuis longtemps eu égard à la misère, aux inégalités sociales et à la chute drastique du pouvoir d'achat». «Tout cela figure dans les rapports que nous envoyons régulièrement à nos chefs», a-t-il poursuivi. Aux abonnés absents D'habitude, très prolixes, certains membres du gouvernement étaient injoignables durant toute la journée. Connus pour leur éloquence, le Premier ministre tout autant d'ailleurs que le président de la République sont, également, restés aux abonnés absents. Le chef de l'Etat qui, pour ainsi dire, vit ces derniers mois à la marge de la vie politique nationale n'a pas prononcé de discours à la nation depuis sa réélection en avril 2009. Il consacre l'essentiel de son temps à ses déplacements à l'étranger. En une année, il ne s'est déplacé que deux ou trois fois à l'intérieur du pays. Sa dernière sortie date du mois d'octobre 2010. Le président de la République s'était rendu à Ouargla pour y annoncer l'ouverture solennelle de l'année universitaire 2010-2011. Puis plus rien ! Mépris ? Craintes d'attiser la colère de la population ? Mauvaise évaluation de la situation ? Difficile de savoir ce qui se trame dans la tête des principaux décideurs du pays qui semblent s'être «bunkerisés». Un constat cependant : face à ce black-out institutionnel, la colère de la population n'a fait que monter crescendo hier. Les villes de l'est du pays, qui étaient jusque-là épargnées par les émeutes, ont fini par être secouées par de violentes manifestations. L'ire de la population est attisée par les scandales de corruption en série qui ont éclaboussé ces derniers mois le sommet de l'Etat et l'incapacité du pouvoir à répondre aux besoins de la population, alors que le pays enregistre, grâce à l'exportation des hydrocarbures, des rentrées d'argent record. Comme attendu, le département dirigé par Mustapha Benbada a annoncé, dans le courant de l'après-midi d'hier, la tenue aujourd'hui d'un Conseil interministériel «pour examiner les moyens de juguler la forte hausse des prix de certains produits de large consommation enregistrée ces derniers jours». Une hausse à l'origine des émeutes. Cependant, il est peu probable que cette annonce soit suffisante pour calmer les émeutiers et une population auprès de laquelle le pouvoir «corrompu» a perdu toute crédibilité.