Le livre, « amas muet de mots », nous communique tous les secrets de l'univers dans la liberté de l'accueil. Il est modeste. Il peut nous suivre partout. Il s'isole avec nous. Il s'ouvre avec nous à nos moments privilégiés. De cette ouverture prend son origine la lecture. Lire ne demande pas des dons particuliers. Quelle que soit l'intimité qui subsiste entre le livre et l'écrivain, si directement que soient éclairées, aujourd'hui, la biographie des auteurs, la signification de leur œuvre, la lecture reste toujours un libre consentement aux autres. Un mouvement éminemment humain qui dépasse infiniment cette réalité de papier et d'encre où s'épanouit le langage des hommes. La lecture d'un livre impose, dans le bruit général, le silence, détourne des relations habituelles : conquête enfin de la générosité offerte de l'œuvre de ce séjour tranquille où se réalisent l'angoisse, l'amour, les amours achevés ou inachevés, les tourments d'une vie, les conflits des générations qui se succèdent, la matière d'ombre et de lumière de notre univers et de notre époque. Si aucun livre, à lui seul, ne contient la culture, celle-ci se dégage pourtant des livres pour qui sait leur demander l'essentiel et animer sa vie spirituelle. De ce fait, le livre est souvent un don de soi aux autres. Un don spontané ou réfléchi. Le donateur ou l'auteur se comparant nécessairement au bénéficiaire : le lecteur. Pour chaque auteur, écrire un livre reviendrait au fond à lancer un appel pour que se découvre derrière l'apparence de la parole commune, derrière l'ouvrage orienté vers nous et animé d'une intention nous concernant l'appel à la lecture. De toute façon, le livre joue son rôle d'intermédiaire. Il transmet quelque chose qui nous impose une réflexion. Il nous convie à instituer avec lui un dialogue silencieux. Il exerce sur nous une pression légère et discrète du regard et du cœur. C'est ainsi que la richesse de la culture universelle ne se livre pas à nous tout entière dans l'immobilité d'un coup d'œil synoptique. La connaissance du monde réel devient pour chacun de nous un problème exorbitant. Mais les livres nous révèlent que l'homme n'est jamais totalement dans son temps passé ; il est toujours dans sa recherche du futur. Par exemple, Nedjma de Kateb Yacine - qui passe pour l'un des grands « modèles » du roman algérien - n'est pas uniquement destinée à des lecteurs « katébiens » spécialisés. Il est lu par une foule de gens qui y cherchent des émotions, des possibilités inépuisables d'excitation esthétique, la trame d'une vie intérieure et secrète, de souffrances et de rêves qui n'ont pu se réaliser dans le monde de l'action. Mais, il y a des écrivains qui nous tiennent à distance des gestes quotidiens de leur époque, tels que boire, manger, marcher dans la rue ou faire l'amour. Leur ambition qui apparaît dans leur dessein romanesque ou poétique ne nous invite pas à voir le monde par leurs yeux. Elle ordonne que le lecteur connaisse ce que l'auteur connaît et puisse résoudre avec lui le problème dont il cache les données. Malgré cela, beaucoup de lecteurs arrivent aujourd'hui à déceler que l'objet représenté par un symbole est une notion abstraite, inhérente à un système culturel donné. C'est que le développement des sciences humaines et leur vulgarisation ont ouvert de nouvelles portes aux lecteurs d'aujourd'hui.