Depuis le début de la protestation populaire, l'armée tunisienne, très peu impliquée dans la vie politique du pays, a pris ses distances vis-à-vis du régime. Les militaires avaient pris soin de ne pas trop se mêler à la répression des manifestants. Si les forces de police sont restés fidèles au désormais ex-président Ben Ali, ce ne fut pas le cas pour l'armée, d'où le limogeage, dimanche dernier, du général des forces armées terrestres ainsi que son état-major. Celui-ci aurait refusé de donner l'ordre aux soldats de réprimer les émeutes qui se sont propagées dans le pays et exprimé des réserves sur un usage excessif de la force. C'est à ce moment-là que les militaires ont fait leur apparition dans Tunis : soldats en armes, camions, jeeps et blindés ont été postés dans toutes les villes et endroits stratégiques du pays. Faisant la différence entre le bon et le mauvais, le peuple a alors fraternisé avec les soldats tout en s'acharnant contre la police. Des vidéos circulant sur le net montrent des policiers en faction rouant de coups de matraque des manifestants. En parallèle, sur plusieurs chaînes de télévision, l'ont voit des images des militaires solidaires avec le peuple : des soldats qui s'inclinent devant un cortège funèbre et échangent, par moments, des embrassades avec les manifestants. Contrairement à l'Algérie, l'armée tunisienne n'est pas politisée ; elle s'est toujours tenue à l'écart des affaires. Les généraux ne détiennent pas des entreprises et encore moins des richesses, ils ne sont pas des affairistes, Ils ne sont ni cités dans des affaires de corruption ni mêlés aux sales besognes du régime. En revanche, les responsables du ministère de l'Intérieur ou des services de renseignement sont vomis par la population du fait qu'ils contrôlaient les faits et gestes des citoyens, des partis de l'opposition et surtout de tout opposant potentiel. L'armée pouvait servir naturellement Ben Ali pour le maintien de l'ordre, mais elle ne l'a pas voulu. La neutralité observée, dans un premier temps, par la «grande muette» et son intervention au moment opportun, pour prendre en main la situation, poussent bon nombre d'observateurs à s'interroger sur le rôle réel qu'a joué l'armée tunisienne dans l'évincement de Ben Ali de Tunisie. La rue tunisienne, ainsi que la majorité des opposants, qu'ils soient avocats ou militants des droits de l'homme, vont même jusqu'à dire que l'armée tunisienne a joué un rôle prépondérant dans la transition et elle est même à l'origine du coup d'Etat contre Ben Ali. L'armée est passée à l'action lorsqu'elle a constaté que la situation échappait à Ben Ali et que ses discours ne faisaient qu'envenimer la situation. Pour éviter un carnage, elle s'est déployée sur le terrain, notamment autour des édifices publics, afin de rassurer la population et éviter tout débordement. «L'armée n'a pas voulu d'un bain de sang, elle s'était même opposée aux policiers, qui ont reçu l'ordre de mater dans le sang la révolte», fait remarquer un avocat, qui précise que «les militaires ont non seulement réussi à pousser Ben Ali vers la sortie, mais ils auraient également maîtrisé les membres de l'appareil sécuritaire qui pouvaient être tentés par un durcissement face à la rue», expliquent les spécialistes, qui pensent que ce sont les militaires qui ont persuadé Ben Ali de quitter Tunis avant qu'il ne soit trop tard. La fureur de la rue ne l'aurait pas épargné ! Faut-il rappeler, dans la foulée, que l'armée tunisienne, officiellement appelée Armée nationale tunisienne, a été fondée le 30 juin 1956 ; elle compte un personnel régulier de 35 000 personnes, dont 27 000 dans l'armée de terre. Très peu impliquée dans la vie politique du pays, elle participe à des activités civiles de développement et de lutte contre les catastrophes naturelles et à des opérations militaires de maintien de la paix, sous couvert des Nations unies.