Tunisie. De notre envoyé spécial Progressivement, la vie repart à Tunis. Hier, l'activité a repris de façon remarquable, y compris au centre-ville bloqué depuis dix jours par les manifestations quasi quotidiennes. Le rassemblement tenu hier sur le boulevard Habib Bourguiba n'a aucunement dérangé les commerces. Même le fameux Café de Paris est resté ouvert et sa terrasse occupée par les clients qui, parfois, discutaient depuis leurs tables avec les manifestants. Autant dire que les Tunisois se sont adaptés à la situation et tentent de trouver un juste milieu entre la vie normale de tous les jours et la nécessaire mobilisation pour aboutir aux fins politiques. A quelques centaines de mètres, les célèbres magasins de la Médina de Tunis ont, pour la plupart, rouvert au public, exception faite des boutiques d'articles traditionnels dont les rideaux demeurent fermés en l'absence de touristes. Il est clair que la machine commerciale et économique du pays fonctionne au ralenti, mais les Tunisois ne comptent pas s'attarder dans cette position. D'ailleurs, toutes les administrations ont repris, en attendant que les écoles rouvrent leurs portes. La pression est tombée aussi concernant les pénuries qui ont frappé les matières de première nécessité, à l'image du pain et du lait, dont la distribution a repris son cours normal. Les grandes surfaces appartenant aux enseignes Grand Magasin et Monoprix étaient hier parfaitement achalandées et envahies par les clients, comme aux grands jours de la consommation. Seule la distribution de carburant est restée perturbée, comme le montre la fermeture des nombreuses stations-service situées sur le grand boulevard de la Liberté. Au jardin du Belvédère, des adolescents, en tenue de sport, aux couleurs de l'Espérance de Tunis, disputent une partie de football dans une ambiance bon enfant. Pendant ce temps, sur le boulevard Bourguiba, au pied de l'hôtel El Hana, les manifestants prenaient leur temps. Voilà des heures qu'ils sont là et contrairement aux jours précédents, ils n'ont subi aucune violence de la part des éléments de la brigade antiémeute et ceux en civil portant des gilets blancs. En tout cas, pas encore. Beaucoup de slogans sont affichés sur les pancartes, des slogans essentiellement dirigés contre le RCD que la rue invite à quitter le pouvoir faute de quoi, les manifestations ne s'arrêteront pas. Le rassemblement est organisé, cette fois, par l'UGTT et surtout les fédérations des secteurs de l'éducation, de la santé et des télécommunications, dominées par les militants de gauche. Au milieu de la foule, des banderoles noires et des rouges portant les vieux symboles communistes se distinguent. Le PCOT, le Parti communiste tunisien de Hamma Hammami et les autres tendances trotskystes, écartés du gouvernement transitoire, contribuent fortement dans cette poussée populaire. Les informations tombent de partout et en continu. Des hommes et des femmes, téléphones à l'oreille, communiquent les nouvelles. Tout le monde est connecté en réseau et chacun peut suivre les derniers événements. Non loin de là, un groupe de militants reçoit en effet un tuyau visiblement d'une extrême importance. L'un d'eux, à peine son portable raccroché, avertit ses collègues, haletant, que le «tortionnaire» Abdallah Kallal, un ponte du régime Ben Ali, se trouve à l'aéroport et tente de fuir la Tunisie. En un éclair, le petit groupe s'engouffre dans le véhicule qui démarre en trombe en direction de l'aéroport avec l'objectif d'empêcher la tentative. Ainsi est fait le quotidien des Tunisois. Hier, le couvre-feu a été repoussé à 20h. Une mesure qui vient accélérer le retour à la normale en attendant que le bras de fer engagé entre le peuple et le gouvernement de transition ne soit tranché.