Sourd au «tapage médiatique», Tunis soutient que le changement démocratique «doit s'accomplir progressivement et à pas sûrs...» Hier, à minuit, ont été clôturées les festivités électorales en Tunisie. Demain, près de 5 millions de votants se rendront aux urnes pour élire un nouveau président de la République et les membres du Parlement. En 2004, 4,8 millions de Tunisiens ont pris part à l'élection présidentielle. Près de 500.000 jeunes prendront part pour la première fois à ces élections qui se dérouleront dans près de 12.000 centres de vote répartis à travers le pays. À 24 heures du scrutin présidentiel tout est fin prêt. La seule inconnue en suspens reste évidemment le score du président sortant, Zine El Abidine Ben Ali. Les membres de l'exécutif du puissant parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), qui, selon ses dirigeants, compte plus de deux millions d'adhérents, ne veulent pas se contenter de merles là où il y a des grives. «Nous voulons le score le plus fort possible pour prouver notre suprématie.» Lors de la dernière élection présidentielle en 2004, Ben Ali avait officiellement raflé la mise en récoltant 94,4% des voix. Un quasi-unanimisme autour de «l'artisan du changement» que justifient ses partisans par un bilan économique qui fait rougir bien des pays africains autrement plus nantis que la «petite» Tunisie. «Montrez de quoi vous êtes capables!», semblent dire non sans fierté, ses partisans qui exhibent à tout bout de champ le bilan «largement positif» du successeur celui qui «a sauvé le pays de la déliquescence». Deux décennies ont suffi au successeur de Lahbib Bourguiba démis en 1987 pour «sénilité», pour hisser la Tunisie au rang de pays émergent, aujourd'hui qualifiée de «dragon de l'Afrique». «Ensemble pour relever les défis», tel est le slogan du président sortant. Pour ses partisans, le principal défi est celui de faire entrer la Tunisie dans l'arène des pays développés. Quatre candidats et un opposant Au pouvoir depuis 22 ans, le président en exercice, Ben Ali, âgé de 73 ans, brigue un cinquième mandat consécutif, le dernier théoriquement, et il est quasiment assuré de remporter haut la main cette élection face à trois autres candidats de l'opposition. Le président candidat aura pour adversaires trois dirigeants de l'opposition. Deux sont qualifiés par la presse tunisienne de modérés en ce sens qu'ils sont considérés comme proches du pouvoir. Cependant, les trois prétendants à la magistrature suprême du pays ne se font pas d'illusions quant à l'issue du scrutin. Mohamed Bouchiha, le chef du Parti de l'unité populaire (PUP), avoue que sa candidature vise à «contribuer à l'évolution de la vie politique» en Tunisie et sans plus. Ancien journaliste et professeur d'histoire et géographie, âgé de 60 ans, il présente son parti comme «une force de proposition et de compromis». Lors de son dernier meeting à la Maison de la culture Ibnou Rachiq, où il a rassemblé environ 500 personnes, Bouchiha n'a pas manqué de vanter les mérites du président dans son oeuvre de construction de la Tunisie. C'est sa deuxième participation à la présidentielle après celle de 2004 durant laquelle il a obtenu 166.629 voix. C'est un record en soi puisqu'il a été le premier opposant à avoir franchi la barre des 1% dans une élection présidentielle. Pratiquement sur la même longueur d'onde, le dirigeant de l'Union démocratique unioniste (UDU), Ahmed Inoubli, prône «une nouvelle génération de réformes politiques» pour promouvoir les libertés et consacrer le respect des lois. L'expérience algérienne fait peur Cet avocat de 51 ans développe un discours panarabiste qui prend racine dans le passé glorieux de la lointaine Umma arabe. Son cheval de bataille: le contrôle du pouvoir exécutif par le Parlement et la révision du Code électoral. Il propose également «l'abolition du Code de la presse pour garantir la liberté d'expression et d'opinion en Tunisie». Le leader du mouvement Ettajdid (Le Renouveau ex-Parti communiste), Ahmed Brahim, est incontestablement le candidat le plus sérieux aux yeux de l'opinion tunisienne après Ben Ali. Ahmed Brahim se démarque des deux précédents candidats par sa verve et son sens critique envers le pouvoir. Il se défend d'ailleurs de faire de la figuration en se présentant comme «un vrai candidat de l'opposition démocratique» et entend «traiter d'égal à égal» avec le candidat du parti au pouvoir. Pour les observateurs politiques, cet universitaire de 63 ans est téméraire en dépit des rapports de force qui ne sont pas en sa faveur. «Je suis conscient que l'alternance n'est pas pour demain, mais au moins que le pays entende des voix différentes», soutien t-il à chacune de ses sorties sur le terrain. C'est un candidat sérieux mais qui est loin de bousculer Ben Ali dans son fauteuil présidentiel. A son arrivée au pouvoir en 1987, Ben Ali avait limité à trois le nombre de mandats présidentiels en abrogeant ainsi la présidence à vie instituée par Bourguiba. Cette limitation a été supprimée en 2002 par voie référendaire et l'âge de la candidature à la présidence repoussé de 70 à 75 ans. Cela étant, la Tunisie n'est pas au bout de ses peines. Envié et vilipendé parfois de manière pavlovienne, le régime de Ben Ali fait face à une critique acerbe des médias étrangers. «Jamais la Tunisie n'a été la cible d'autant de critiques souvent injustifiées», fait remarquer un diplomate tunisien qui voit dans «ces critiques souvent injustifiées une volonté de créer de toutes pièces une zizanie à l'intérieur de la Tunisie». «Comme si la stabilité sociale et politique de notre pays dérange certains», regrette ce jeune diplomate. Les officiels tunisiens répliquent et affirment que les accusations des ONG, relayées par les médias étrangers «ne collent pas avec la réalité tunisienne». Sourd à «ce tapage médiatique» Tunis soutient que le changement démocratique doit s'accomplir «progressivement et à pas sûrs pour prémunir le pays des revers qui ont été néfastes à d'autres pays». L'expérience de l'ouverture démocratique en Algérie fait véritablement peur.