Sihem Bensedrine est Porte-parole du Conseil national pour les libertés et journaliste à la radio interdite Kalima. - Vous êtes revenue, vous avez récupéré votre siège et vous repartez à la conquête de l'information… Absolument, nous repartons à la conquête de la parole confisquée pendant 23 ans, nous essayons justement de réinvestir les espaces publics de parole et de redonner au peuple sa voix. C'est vrai que nous avons de très petits moyens ; on nous avait totalement marginalisés, on était privés de fréquences, etc., mais là, nous sommes dans une logique de conquête et nous nous imposerons.
- Revenons à l'actualité, les Tunisiens ont ch assé Ben Ali et exigent maintenant le départ du RCD, soutenez-vous cette revendication ? Nous avons été les premiers à lancer ce mot d'ordre «RCD dégage» !
- La police continue à réprimer violemment les manifestants, croyez-vous que le rétablissement de l'ordre justifie cette option ? Il ne s'agit pas de rétablissement de l'ordre mais d'établissement d'une nouvelle logique, parce que notre police est toujours dirigée par les mêmes hommes qui ont fait le régime dictatorial de Ben Ali et il faut une période transitoire pour que ce corps de sûreté soit nettoyé et qu'il passe entre les mains d'hommes qui pensent la liberté. C'est une police qui est formatée, qui pense la répression, l'ancien régime ne peut pas supporter que les citoyens investissent la rue, c'est trop fort pour eux. Le fait qu'il tolère plus ou moins, c'est déjà énorme, c'est nouveau pour lui. Nous avons donc besoin de temps pour qu'il s'habitue, le temps aussi que les citoyens réapprennent à utiliser la rue et ils ont montré qu'ils sont parfaitement mûrs pour le faire. Pour cea, il faudra du temps et nous aurons la patience qu'il faut.
- El Ghannouchi et Mbazaa ont menacé, entre les lignes, les Tunisiens de remettre le pouvoir entre les mains de l'armée… Ce n'est pas à eux de menacer ou pas. Une chose est sûre, l'armée a joué un rôle important pour le maintien de l'ordre et la protection des citoyens ; ces derniers en sont heureux. Nous aussi, nous saluons le travail qu'elle a fait. Cependant, nous demandons, une fois le travail d'apaisement accompli, qu'ils réintègrent les casernes, nous ne voulons pas de pouvoir militaire, nous souhaitons que notre armée, qui a joué un rôle positif, continue à participer dans son rôle et pas dans la politique. - Pensez-vous que la transition a besoin des anciennes figures du RCD pour remettre le pays en marche ? Nous acceptons pour une période transitoire que des cadres du RCD à condition qu'ils aient les mains propres, du sang de notre peuple, les mains propres de la répression de notre peuple et les mains propres du pillage de nos ressources. Ceux-là, nous ne les acceptons pas et à aucun niveau. Par contre, nous acceptons que des technocrates soient là pour assurer la transition, c'est normal. Nous n'acceptons pas aussi que les postes-clés soient encore et toujours détenus pas les boss de l'ancien pouvoir, nous pensons qu'il y a un devoir de vigilance de la part de ceux qui viennent d'intégrer le gouvernement, afin qu'on évite la restauration de l'ancien régime. Ceci dit, nous pensons qu'à l'heure qu'il est que les négociations avec l'UGTT, qui a fait pression pour recomposer ce pouvoir, ont échoué, que l'UGTT vient de se retirer à l'instant des négociations et que les choses sont au point mort, donc là il y a de quoi s'inquiéter. - Le modèle tunisien est-il exportable à votre avis ? Vous savez, cette révolution tunisienne a beaucoup d'ennemis aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Nos ennemis à l'extérieur, ce sont nos voisins qui ont peur de la contagion, nous nous disons que ce modèle consiste à se débarrasser de la peur et c'est tout simplement ce qu'a fait le peuple tunisien en affrontant les balles. cela s'exporte comme un modèle, inspirant pour les peuples voisins, les peuples arabes, nous disons au peuple algérien «laâkba likoum».