Homme de foi un rien superstitieux, Hicham El Guerrouj, à 29 ans, voulait croire à son destin grec. « Je suis né à Athènes comme athlète », disait-il à la veille des qualifications du 1500 m, allusion à son premier titre de champion du monde obtenu en 1997 dans la ville où il a connu hier soir l'apothéose de sa carrière. A l'issue d'une course serrée et très tactique, le Marocain a gagné l'or (en 3'34''18) qui lui avait échappé par deux fois à Atlanta, en 1996, puis à Sydney quatre ans plus tard. « A Sydney, j'avais eu des larmes de tristesse. Aujourd'hui, j'ai les larmes du bonheur comme un bébé. » Il a réussi à prendre le dessus (12 centièmes) sur le Kenyan Bernard Lagat, redoutable cette année avec la meilleure performance, 3'27''40, établie le 6 août au meeting de Zurich devant... Hicham El Guerrouj. Eliminé des Mondiaux 2003 à cause d'un contrôle antidopage positif annulé ensuite par l'IAAF, Lagat avait des envies de rachat, mais il n'a rien pu faire contre « le Sorcier d'Ifrane », du nom de la base refuge du Moyen-Atlas où El Guerrouj s'entraîne le plus souvent. Paradoxalement, cette suprême victoire, probablement celle qui lui tenait le plus à cœur, arrive en conclusion d'une saison plus difficile que d'autres. Le 2 juillet, El Guerrouj terminait huitième du meeting Golden League de Rome, remporté par un quasi-inconnu le Bahreïnien Rachid Ramzi en 3'30''25. Ce genre de déconvenue n'a pas souvent touché le natif de Berkane, dans le nord-est du Maroc, depuis qu'il figure régulièrement en tête de la liste des meilleurs athlètes mondiaux, établie chaque année par l'IAAF. El Guerrouj a attaqué 2004 avec un palmarès propre à décourager la concurrence : 80 succès en 83 courses courues, un assez inaccessible record du monde (3'26''00) remontant à l'année 1998. Pour beaucoup, il semble hors de portée. Mehdi Baâla s'en est rendu compte lors des championnats du monde à Paris l'an dernier, n'ayant jamais véritablement menacé son ami et maître avec lequel il lui arrive régulièrement de s'entraîner à Ifrane. El Guerrouj y retourne le plus souvent possible. A 1600 m d'altitude, l'air est bon. Or, la défaillance de Rome trouve peut-être son explication dans cet environnement protégé. Hicham y aurait contracté une allergie au cèdre, partiellement responsable de problèmes respiratoires qui le perturbent depuis le début de l'année. Forcé de se soigner avec des corticoïdes, des antihistaminiques, il semble en avoir payé les effets secondaires. D'évoquer ces ennuis, relativement secondaires, le fait tout de même pleurer lors d'une conférence de presse devant une assistance médusée. El Guerrouj court maintenant depuis près de quinze ans. Sa première victoire remonte aux championnats du monde de cross de Safi en 1991. Depuis, au Maroc, il est devenu un élément du patrimoine national, protégé comme un « bien précieux ». A peine la ligne passée, il a reçu un coup de fil de félicitations de Mohammed VI. Et dédiait sa médaille d'or « au roi et à (sa) petite fille ». Sous des dessous lisses de champion poli, bon musulman menant une vie saine et loin des mondanités, El Guerrouj, à l'occasion, peut se montrer peau de vache et glisser des allusions perfides sur tel ou tel concurrent mal-aimé. De Ramzi, le Bahreïnien victorieux à Rome, éliminé en qualification avec un temps de 3'44''60, il pointait les chronos en dents de scie et les entraînements à Ifrane aux côtés des frères Boulami... mis en cause pour dopage. El Guerrouj se veut athlète propre et irréprochable. L'IAAF en a fait un symbole en l'associant à Paula Radcliffe, militante de la lutte contre le dopage, victime d'une brusque défaillance au marathon. Deux fois champion olympique du 1500 m, Sébastien Coe dit sans ambages : « C'est le meilleur de nous tous. » A l'issue des JO, El Guerrouj va se marier. Le sportif passera sur les distances longues. Il compte durer.