Marasme, hogra, verrouillage, marginalisation. Les mots sont les mêmes pour qualifier la situation culturelle partout en Algérie, mais à Batna, les artistes se sont révoltés et manifestent publiquement depuis quatre semaines pour dire «Barakat, plus jamais ça !» Mardi, ils étaient quelques dizaines à investir la place du Théâtre pour tenir un sit-in dans un froid glacial et afficher leurs slogans désormais célèbres dans la capitale des Aurès. Plasticiens, chanteurs, danseurs, auteurs et aussi hommes de théâtre se retrouvent chaque mardi matin pour le même objectif. Et cela n'a pas manqué de soulever d'abord la curiosité du public, non habitué à de telles manifestations, et arracher sa solidarité. D'ailleurs, la population est la seule source de soutien de ce mouvement face au silence radio des autorités, pourtant sollicitées officiellement, si ce n'est l'intérêt porté par la police locale qui s'est rapprochée des meneurs. Près de 500 signatures ont été récoltées déjà par ces derniers pour la pétition qui accompagne la plateforme de revendications de 10 points, laquelle s'ouvre avec l'exigence d'envoi d'une commission d'enquête présidentielle pour la gestion financière des établissements affiliés à la culture, à leur tête la direction du secteur. Pourquoi une commission présidentielle et non pas ministérielle ? Khaled Bouali, dramaturge et porte-parole du mouvement, avoue ne plus faire confiance au département de Khalida Toumi. «Ce sont eux qui ont placé un personnel médiocre ; ils ne peuvent pas désavouer leurs propres cadres», affirme-t-il. A ce jour, aucun écho n'est parvenu aux protestataires. «Mais de quoi ont-ils peur ?», enchaîne Bouali qui, au nom du collectif, affirme : «Nous sommes certains qu'une commission impartiale va révéler des pratiques douteuses dans le domaine.» Pourtant, des budgets faramineux ont été alloués au secteur durant la décennie écoulée. Où est parti cet argent ? «Beaucoup de gens se sont enrichis sur le dos de la culture à Batna», poursuit Bouali, pour qui le théâtre est le meilleur exemple pour illustrer le binôme médiocrité/rapine. «Les trois derniers festivals de théâtre étaient d'une médiocrité honteuse», s'indigne encore notre interlocuteur. Les signataires, qui s'inscrivent dans des revendications à caractère national, notamment l'élaboration et la mise en application d'un statut pour l'artiste, refusent les désignations aléatoires et demandent à être associés à toutes les décisions qui concernent les nominations au sein de la direction de la culture et de toutes les institutions culturelles qui lui sont rattachées. S'éloignant de tout compromis, les artistes revendiquent aussi un changement radical à la tête de ces administrations et exigent la récupération de l'ensemble des infrastructures du secteur culturel «usurpés» par celui de la jeunesse et des sports, et la réouverture de l'institut des arts dramatiques et chorégraphiques, fermé «arbitrairement» depuis 20 ans. Autre sujet qui fait rager les intellectuels de Batna : le festival de Timgad. Ce dernier, initié par des hommes de culture de la capitale des Aurès, est revenu sous la tutelle de l'Etat à travers l'ONCI, dont la gestion suscite des critiques interminables au niveau local. Depuis la fin des années 1990, les Batnéens sont exclus, en effet, de la gestion, y compris artistique, de ce festival dans lequel ils ne se reconnaissent plus. Mis sous la coupe réglée par l'effet d'un verrouillage systématique des espaces d'expression, le microcosme culturel agonise. Batna, véritable pépinière d'artistes, a été vidée de sa sève et ce qui reste est réduit à végéter en marge depuis que l'administration culturelle a achevé de verrouiller tous les espaces. L'intifadha des artistes de Batna, soutenue par des universitaires, des juristes, des médecins et des journalistes, a déjà coûté son poste au directeur de la culture, «le pire qu'on ait jamais eu», commentent les protestataires. Elle a surtout créé une dynamique sans précédent dans le milieu culturel et risque de provoquer l'émulation dans les autres wilayas où les artistes souffrent des mêmes maux.