La législation du travail n'arrive pas à s'imposer au sein de beaucoup d'entreprises, notamment celles du bâtiment. Le phénomène, assez récent, de l'exploitation des enfants et autres ouvriers journaliers, tend à gagner de plus en plus de terrain dans la wilaya de Bouira, au détriment des travailleurs qualifiés qui, eux, doivent passer d'abord par le bureau chargé des recrutements, autrement dit l'agence nationale de l'emploi (ANEM). Cette main-d'œuvre bon marché constitue pour les chefs d'entreprises un véritable filon en or. En effet, l'absence de contrôle par des agents de services concernés, notamment de l'inspection du travail censée combattre ce fléau d'un autre genre, constitue une aubaine aux entrepreneurs qui ne demandent pas plus que de saisir ce «don du ciel». Ainsi, des centaines d'ouvriers se retrouvent dans la contrainte de travailler au noir, malgré eux, et dans des conditions des plus déplorables auprès de gérants de diverses entreprises privées. Les exemples sont légion. Il suffit de passer devant le centre universitaire Akli-Mohand-Oulhadj de Bouira pour remarquer, chaque jour que Dieu fait, ces dizaines de personnes, souvent des pères de famille, venus de diverses localités de la wilaya, en quête d'embauche, à titre temporaire, et ils acceptent d'accomplir des tâches parfois intenables pour un salaire de misère, et ce, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse 40° à l'ombre. Se regroupant au même endroit en attendant l'arrivée d'un hypothétique entrepreneur qui leur proposerait du travail, ces ouvriers savent qu'ils sont surexploités, mais ne rechignent pas devant la moindre journée de travail. Farid, père de deux enfants, narre : «Je suis ici en quête d'un quelconque boulot pour subvenir en urgence aux besoins de ma famille. Je n'ai pas d'autres choix ; les entrepreneurs nous proposent généralement des tâches très ingrates, tel que le déchargement des bennes de sacs de ciment ou de la brique pour seulement 3 000 DA que nous partagions à deux ou à trois ouvriers». Il est 9h du matin ; un véhicule s'arrête devant ces ouvriers, en groupes, appelés communément les bulldozers. Farid et les autres se précipitent vers l'automobiliste, un entrepreneur. Après une dizaine de minutes, ce dernier «engage» trois bonhommes qui montent dans le véhicule. Notre interlocuteur, qui n'a pas fait partie, cette fois-ci du trio engagé, nous dira que ces «recrutés» vont être envoyés à Sour El-Ghozlane où ils creuseront des fosses pour des fondations d'une bâtisse, moyennant un montant de 1200 DA. «Nous travaillons comme des esclaves. Les entrepreneurs nous paient à 400 DA la journée, et sans assurance !» poursuit Farid. Cette méthode arrange grandement les affaires des entrepreneurs qui, sans scrupules, évitent les charges de l'assurance. Pire encore, souvent des ouvriers, qui travaillent au jour le jour, se voient carrément refuser d'être payés par certains patrons. Hocine, un autre ouvrier de 50 ans, avoue : «Une fois, j'ai travaillé durant trois mois pour un entrepreneur proche de l'administration et connu dans la wilaya. Figurez-vous que celui-ci a refusé de me payer, au prétexte que lui aussi n'avait pas encore perçu les frais de sa facture». Se sentant en position de force, l'entrepreneur lui aurait dit d'aller porter l'affaire en justice. «Comble de lâcheté, il savait que je n'ai pas les moyens de l'ester en justice, chef de famille que je suis et n'ai pas même de quoi acheter du lait pour mes enfants», ajoutait Hocine, dépité, ne croyant pas qu'il existait de telles personnes sans un brin d'humanisme. Une situation similaire prévaut également dans le secteur de l'agriculture où de nombreux ouvriers venant des wilayas limitrophes (Médéa, Aïn Defla et M'sila notamment), se rendent à Aïn Bessem et à Sour El Ghozlane pour solliciter du travail journalier dans les champs de pomme de terre auprès de paysans producteurs. Là, on aperçoit aussi des dizaines d'enfants s'échinant à travers champs à biner ou à extraire des caisses de pommes de terre ou d'autres fruits.