«Toutes les graines sont possibles», lorsque la terre semble s'y prêter, bien sûr. Il en est ainsi de la poésie et de son rayonnement. Du haut du XIIIe siècle, l'Italien Dante Alighieri (1265-1321), s'est très vite taillé une excellente place dans le paysage littéraire universel. Pourtant, comparé à son prédécesseur latin, Virgile (70-19 av. J-C), auteur de L'Eneide, ou à Homère (VIIIe siècle av. J-C), le Grec, auteur – contesté parfois – de L'Iliade et de L'Odyssée, il ne pouvait égaler ces deux derniers puisqu'il se devait, avant tout, de se forger une langue poétique en prenant appui sur la langue de la vulgum populace, c'est-à-dire un mélange de bas latin et d'italien dans sa toute première forme. Pour le grand écrivain argentin, Jorge Luis Borges (1899-1986), La Comédie divine de Dante, n'a jamais été égalée par aucune autre composition poétique ou épique. L'ayant lue dans des traductions anglaise et espagnole, il s'était tout juste mis l'eau à la bouche, comme il l'a toujours répété, dans ses écrits et ses conférences magistrales. C'est pourquoi il décida un jour d'apprendre la langue italienne pour lire Dante dans sa langue d'origine et l'apprécier, ainsi, à sa juste valeur. D'autres poètes l'avaient déjà devancé : Ezra Pound (1885-1972), auteur des Cantos, poèmes épiques des temps modernes, T.S.Eliot (1888-1965), dans sa fameuse conférence sur Dante dans les années vingt du siècle dernier et le Français Maurice Blanchard (1890-1960) qui avait également compris la leçon à sa manière en décidant un jour d'apprendre l'italien pour aller à la source plutôt que de boire en aval. En littérature arabe contemporaine, il y eut plusieurs tentatives en prose pour se mettre au diapason de l'œuvre de Dante. Toutefois, le travail accompli par l'universitaire égyptien, Hassan Othmane, demeure, et de loin, le meilleur, de l'avis de tous les critiques littéraires, des universitaires et des lecteurs. Hassan Othmane, conscient du défi qu'il se devait de relever, s'était mis à l'étude de l'italien depuis 1934, et il n'a commencé la traduction de l'ouvrage de Dante qu'en 1951. Celle-ci se dresse toujours sur son piédestal, entendez, car aucun autre traducteur, à ce jour, n'a osé la concurrencer. Chose curieuse : Borges dont les nouvelles sont truffées de références à la littérature arabe et qui était un grand amoureux des Mille et Une Nuits n'a pourtant pas appris l'arabe pour lire ce texte, somme toute fabuleux, dans sa langue d'origine. Faut-il donc absolument lire la poésie, n'importe quelle poésie, dans la langue où elle a été produite ? Bien sûr, c'est l'idéal. Faut-il encore comprendre par là que la sensibilité poétique n'est pas transposable dans une langue autre que celle au sein de laquelle elle a pris naissance, si tant est que la sensibilité est cette partie de l'homme qui se montrerait rétive à toute forme de «déplacement» pour ainsi dire ? Il a toujours été dit à propos de la poésie arabe, depuis les premiers temps antéislamiques, qu'elle est le réceptacle par excellence de l'état d'âme d'une société spécifique. Et il a été dit, a posteriori, que cette même société est incomprise ailleurs pour n'avoir pas réussi à imposer sa sensibilité, véhiculée principalement par une production poétique prodigieuse. Apparemment, la barre est trop élevée en ce sens qu'il n'est pas donné à tout le monde de suivre de près le modèle d'un Borges, d'un Eliot, d'un Blanchard ou d'un Hassan Othmane. Il en résulte que le problème d'une communication complète et harmonieuse entre les hommes demeure posé, et l'on ne peut espérer qu'une meilleure compréhension.