La crise égyptienne a opéré hier un virage important en passant avec succès le test du «vendredi du départ». Seule ombre au tableau : Hosni Moubarak s'accroche toujours au pouvoir… Des centaines de milliers d'Egyptiens sont descendus dans les rues hier pour réclamer le départ du président Hosni Moubarak, au 11e jour des protestations marqué par la présence de personnalités politiques sur la place symbole de la contestation au Caire, noire de monde. Star diplomatique du monde arabe, le chef de la Ligue arabe, Amr Moussa, très populaire dans son pays, est allé sur la place Tahrir (Libération) pour aider à «l'apaisement», selon son bureau.Dans la matinée, il n'avait pas exclu de se présenter à la succession de M. Moubarak qui a dit ne pas vouloir briguer un nouveau mandat. La manifestation se déroulait dans le calme au Caire et les partisans du président, à l'origine des violents affrontements mercredi et jeudi, n'étaient pas visibles aux abords de la place où l'armée avait déployé des dizaines de véhicules pour créer une zone tampon. Le mouvement de contestation a appelé à une mobilisation générale pour ce qu'il a baptisé «le vendredi du départ», et espérait réunir un million de personnes dans le pays, au 11e jour d'une révolte qui a fait au moins 300 morts et des milliers de blessés, selon l'ONU. Sur la place Tahrir, des dizaines de milliers de manifestants ont participé à la prière du vendredi. «Nous sommes nés libres et allons vivre libres. Je vous demande de patienter jusqu'à la victoire», a déclaré l'imam, identifié par les fidèles comme Khaled Al Marakbi, qui a pleuré, comme beaucoup d'autres, pendant la prière aux morts. Après la prière, les manifestants ont scandé «Irhal, irhal» (dégage, dégage) à l'adresse de M. Moubarak, qui a affirmé mardi qu'il ne briguerait pas un sixième mandat à la présidentielle de septembre après avoir passé près de 30 ans au pouvoir. Pour rejoindre la place, où des milliers de personnes ont encore passé la nuit malgré le couvre-feu, les manifestants devaient franchir un point de contrôle de l'armée puis une demi-douzaine d'autres barrages civils. Le ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantaoui, s'est rendu dans la matinée sur la place pour évaluer la situation, la première visite d'un haut responsable du régime depuis le début de la contestation. «L'homme vous a dit qu'il n'allait pas se représenter», a-t-il lancé à la foule à propos de M. Moubarak. «Si nous arrêtons (le mouvement), la vengeance va être terrifiante», a réagi un manifestant, Khaled Abdallah. Pas de quartier pour le raïs déclinant De nombreux Egyptiens avaient également répondu à l'appel à la mobilisation en province : ils étaient des dizaines de milliers à Alexandrie (nord), 10 000 à Menoufiya (nord), 20 000 à Mahalla (delta du Nil), 5000 à Suez (est), des dizaines de milliers à Mansoura (delta du Nil), 5000 à Assiout (centre) et des dizaines de milliers à Louxor (sud), selon des sources de sécurité. L'attentisme apparent de l'armée, qui s'est engagée à ne pas utiliser la force contre les manifestants mais ne s'est pas opposée aux attaques contre eux, suscitait toujours des interrogations avec une certitude cependant : son rôle sera décisif quelle que soit l'issue de la crise. Dans une interview à la chaîne de télévision américaine ABC, M. Moubarak a dit qu'«il en avait assez d'être président», mais qu'il ne pouvait quitter son poste «de peur que le pays ne sombre dans le chaos», a rapporté la journaliste Christiane Amanpour. La communauté internationale continuait de faire pression sur le président égyptien. Selon le New York Times, les Etats-Unis discutent avec des responsables égyptiens pour que M. Moubarak cède le pouvoir à un gouvernement de transition dirigé par le vice-président Omar Souleimane. Le guide suprême des Frères musulmans, principale force d'opposition, Mohammed Badie, a déclaré qu'il était prêt au dialogue avec M. Souleimane, mais uniquement après le départ de M. Moubarak. Et il s'est dit favorable à une «période transitoire que dirigera le vice-président». Deux petits partis de l'opposition, le Wafd (libéral) et le Tagammou (gauche), ont accepté l'offre de dialogue de M. Souleimane.