Le président de la République Abdelaziz Bouteflika souffrant au niveau de l'appareil digestif et transféré à Paris pour un bilan médical plus approfondi, a décidé de ne pas prendre part au sommet euroméditerranéen qui s'ouvre aujourd'hui à Barcelone, à l'occasion de la célébration du 10e anniversaire de la conférence du même nom en 1995. C'est ce que nous a confié hier une source proche de la présidence de la République, précisant que le chef de l'Etat, et partant l'Algérie, a décidé de marquer son mécontentement des résultats « mitigés » de ce partenariat, en dix années d'existence. Ce n'est donc point un problème de calendrier, mais bel et bien une bouderie. Notre source confie, également, que d'autres chefs d'Etat et souverains des nations concernés seront, eux aussi, aux abonnés absents à Barcelone. Une espèce d'accord tacite a été conclu entre ces pays pour ne pas se faire représenter à un « très haut niveau ». Ainsi, en plus de Bouteflika, les rois du Maroc et de Jordanie et le président égyptien Hosni Moubarak boycotteront le rendez-vous espagnol. « Il n y a pas de raisons pour que notre Président y participe alors que ses paires du Maroc, de Jordanie et d'Egypte n y seront pas ! », ajoute notre source. Au lieu d'un dialogue sur des questions aussi stratégiques que la lutte antiterroriste, le dialogue politique et la prospérité partagée, les Chirac, Zapatero, Tony Blair vont se contenter d'un monologue. Les huit pays arabes engagés dans ce processus ont déjà donné un avant-goût de leur mécontentement, il y a quelques jours, lors d'une rencontre des ministres de leurs AE au Caire. « Le règlement de la question palestinienne constitue la pierre angulaire de la consécration de la sécurité et de la stabilité dans la région. » (comprendre par là l'espace euro-méditerranéen). Force est de constater, en effet, que dix années après la fameuse Déclaration de Barcelone, « la zone de prospérité partagée » demeure un vœu pieu. S'étant assurés de la collaboration effective des pays tiers dans le volet de la lutte antiterroriste, les pays européens du pourtour méditerranéen ont oublié le reste. En l'occurrence « la charte pour la paix et la sécurité en Méditerrané » - prévue par la Déclaration de Barcelone - a été enterrée par le conflit au Proche-Orient qui a vite fait d'aiguiser les antagonismes sur la définition exacte du terrorisme. Cette fois, pour mieux faire avaler la pilule à leurs homologues du Sud, les partenaires européens ont décidé, à l'occasion de ce sommet, de transformer la charte en un « code de conduite » dans la lutte commune contre le terrorisme. Un stratagème sémantique qui n'a pas convaincu les dirigeants arabes concernés, lesquels ont préféré faire l'impasse sur un événement régional qui n'en est plus un. Et la position de l'Algérie résume parfaitement l'état d'esprit de ses partenaires, qui font un constat plutôt décevant de dix ans de coopération. Dans un document qui sera distribué aujourd'hui aux participants à Barcelone et dont El Watan détient une copie, l'Algérie analyse point par point les échecs du processus de Barcelone. « (...) Aussi longtemps que le conflit israélo-arabe n'aura pas été réglé de façon globale, juste et durable, la tension persistera dans notre région et continuera d'affecter notre partenariat. » Voilà qui donne le ton général d'un constat sans complaisance. « L'opinion publique la plus répandue parmi les acteurs de ce processus évoque généralement un bilan du partenariat des plus mitigés », lit-on encore dans le document, soulignant que « les retombées tangibles attendues ne sont pas au rendez-vous de leurs espoirs ». En plus de la coopération politique et sécuritaire, l'Algérie note que « peu d'avancées significatives sur des questions-clés liées à la promotion et au renforcement de la paix et de la sécurité dans la région ». Il est souligné également que le dialogue (sur la sécurité) dans le cadre de la Déclaration de Barcelone et même avec l'UE a « timidement commencé à définir quelques pistes de coopération au lendemain du 11 septembre ». S'agissant des questions de défense, l'Algérie relève que le mécanisme de coopération prévu dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen (PESD) « pose la question de la complémentarité avec les autres cadres de coopération dans notre région ». L'allusion est ici faite à l'engagement de l'Algérie au sein de l'OTAN, dont le gros des troupes est constitué justement des pays de l'espace Euromed. Au chapitre économique, le document de la présidence remarque que les efforts développés pour la construction d'une économie de marché viable et intégrée n'ont pas été « accompagnés (...) pour faire face aux impacts des politiques de libéralisation induites par notre partenariat ». C'est pourquoi l'Algérie demande à ses partenaires européens d'honorer leurs engagements, notamment ceux contenus dans l'accord d'association. Aussi, le document souligne qu'une attention toute particulière sera accordée à la corrélation entre la zone de libre-échange et l'investissement européen. En clair, il n'est plus question d'ouvrir le marché national si les investisseurs européens ne s'engagent pas dans cet effort de transformation économique. Et pour cause, l'Algérie constate au plan social qu'en dix ans de partenariat, « l'écart de richesse entre l'UE et les pays du Sud de la Méditerranée s'est maintenu, voire même a augmenté ». La même frustration est relevée au sujet de la fameuse « politique européenne de voisinage », théoriquement conçue pour « revitaliser » le processus de Barcelone. Cette politique risque, selon l'Algérie, « d'accentuer le déséquilibre des engagements entre l'UE et ses voisins du Sud ». Les critères de bonne gouvernance, de libéralisation des secteurs de l'agriculture et des services introduits dans ce plan « vont au-delà du cadre juridique régissant ces pays, que sont les accords d'association, par ailleurs ratifiés par leurs Parlements respectifs ». Il est donc clair, à la lumière de ce réquisitoire algérien sur le processus de Barcelone, que le partenariat, le vrai, est à réinventer. Les pays du Sud ne veulent plus être les parents pauvres d'une coopération avec des pays européens qui favorisent leurs voisins de l'Est à leur détriment. Et, à cet égard, la « chute » du document officiel de l'Algérie est on ne peut plus claire : « Lorsque l'UE marquera une pause dans le cycle de l'élargissement, nous pourrons réévaluer notre processus et envisager d'ériger notre aire en une région euro-méditerranéenne, afin d'éloigner le spectre d'une région périphérique de l'Europe. »