Certains économistes estiment que la politique monétaire expansionniste de la Fed (réserve fédérale américaine), la spéculation et les conditions climatiques contribuent largement à la flambée des matières premières sur le marché international et par ricochet aux révoltes populaires, rapportent les agences de presse La Banque centrale américaine (FED) a inondé le marché de liquidités avec l'injection annoncée en novembre de 600 milliards de dollars dans le circuit économique, rappelle Philippe de Vandière, analyste chez IG Markets. «La stratégie de la Fed était de racheter des obligations d'Etat pour faire baisser leur rendement et détourner ainsi les banques des bons du Trésor pour les inciter à investir plutôt dans des prêts aux particuliers et aux entreprises», a-t-il expliqué. Or les investisseurs se servent beaucoup de cet excès de liquidités pour investir dans des stocks physiques de matières premières ou des produits dérivés, ce qui fait monter leur prix, ajoute-t-on de même source. Un fonds britannique a ainsi accaparé en juillet la quasi-totalité du cacao disponible à Londres, poussant les prix à un niveau record en 33 ans. «La spéculation peut représenter entre 20 et 40% des transactions sur les marchés agricoles», estime Gautier Le Molgat, consultant Agritel. La spéculation joue ainsi un rôle croissant dans la hausse des prix, d'autant plus que se multiplient les véhicules d'investissement de types ETF (exchange traded funds) qui sont adossés à des stocks physiques, ce qui accroît la pression sur la demande. «Ces ETF existent déjà pour l'or, le pétrole, le blé et le cuivre», ajoute l'analyste d'IG Markets Philippe de Vandière. Des denrées alimentaires aux métaux de base, les cours des matières premières ont battu des records l'an dernier et la tendance se poursuit en 2011. Bernanke accuse la Chine consommatrice de riz Le président de la FED, Ben Bernanke, nie que sa politique monétaire ait pu contribuer à faire monter le prix des denrées alimentaires et maintient que la planche à billets n'est pas, responsable des révoltes provoquées par la flambée des produits de base qu'il impute à la forte demande chinoise. Pourtant cette initiative avait fait baisser la valeur du dollar qui a entraîné une augmentation des prix. A ce propos, Omar Bessaoud, économiste spécialiste des politiques agricoles en Méditerranée à l'Institut agronomique méditerranéen de Montpellier répondra que la Chine est un faux coupable car «la base de leur nourriture est le riz et la Chine en produit suffisamment tandis que la diversification alimentaire n'est pas encore telle qu'elle joue un vrai rôle dans l'augmentation des prix». Dans la foulée, cette augmentation des prix, notamment en Egypte, est en partie à l'origine des récents soulèvements populaires, estime-t-on. En effet, selon l'économiste Bessaoud, «55% du budget des ménages est consacré à la nourriture contre environ 2% dans un pays comme la France». Pour lui, la politique monétaire américaine est un «élément mineur». Selon un rapport de l'an dernier de l'OMC, l'importance grandissante des biocarburants en est l'un des facteurs déterminants. «Des millions d'hectares de maïs ne sont plus destinés à l'alimentation mais aux développement des biocarburants», précise Omar Bessaoud. L'offre disponible pour la consommation a donc chuté, ce qui aurait fait grimper les prix. L'autre coupable serait le spéculateur. Dénoncée notamment par le président français Nicolas Sarkozy avant la tenue du G20 fin janvier, la spéculation est en effet très forte sur les marchés des matières premières. «Après s'être brûlé les ailes sur le marché immobilier, les investisseurs se sont massivement tournés vers les denrées alimentaires», indique Omar Bessaoud. Les caprices du climat bouleversent les cours Enfin, le climat est l'autre facteur aggravant. Outre la canicule estivale en Russie, le phénomène climatique «la Niña» est montré du doigt: on lui attribue des inondations en Australie et au Pakistan, des pluies désastreuses dans le nord de l'Amérique latine, et un temps excessivement sec au Brésil et en Argentine, tous d'importants producteurs. Après un embargo de la Russie sur ses exportations, les prix du blé ont bondi d'environ 80% entre juin et début août, au plus haut depuis deux ans, avant de refluer. «Beaucoup d'acheteurs ont acheté les matières agricoles au compte-gouttes au dernier semestre en espérant que les prix redescendraient, et maintenant ils vont être obligés d'acquérir de gros volumes, ce qui va contribuer à maintenir des prix élevés», explique Gautier Le Molgat d'Agritel. En principe, entre les deux hémisphères terrestres, 18-20 mois séparent les premiers emblavements au nord des dernières récoltes au sud. Sauf aléa climatique, les promesses de récoltes se vérifient. Les prix ont peu de temps pour prendre de l'élan. En moyenne, depuis 1972, les tensions ne dépassent pas 29 mois pour le blé, maïs (17), sucre (22), café (16), cacao (26), soja (15), coton (22). A un surcroît de demande, le délai de la réponse de l'offre est de quelques mois : choix de l'emblavement, mise en culture d'une jachère ou amélioration d'un rendement. Nous sommes bien loin de la nécessité d'une découverte géologique suivie d'une première production minière ou énergétique 5 à 10 ans plus tard. Ces prix-là (métaux, énergies) ont le temps de se projeter plus longuement. Enfin, la crainte d'un retour de l'inflation incite les investisseurs à se réfugier dans l'or, qui a ainsi engrangé 25% sur l'année. Même chose pour l'argent. Les métaux précieux sont en effet perçus comme des valeurs sûres, tangibles, des garanties contre l'incertitude qui pèse sur la valeur des monnaies.