4ème partie La répercussion du coût énergétique sur le prix des autres matières premières a aussi joué sur les cours vu la hausse du prix de revient. A la mi-juillet 2008, la situation des cours pétroliers et des matières premières a commencé à s'inverser, mais, au même moment, éclate la plus grave crise bancaire que les Etats-Unis et le monde aient connue depuis 1929. Interview de Sergio Rossi, professeur de macroéconomie et de politique monétaire à l'Université de Fribourg (Suisse) L'analyse qui suit est édifiante à plus d'un titre sur cette énigme. Interview de Sergio Rossi, professeur de macroéconomie et de politique monétaire à l'Université de Fribourg (Suisse), le 31 mars 2009, par Jean-paul Guinnard. Elle a pour titre : « La Chine a compris que le régime de l'étalon-dollar, mise en place après l'abandon de l'or comme référence internationale, perturbe fondamentalement l'équilibre des transactions économiques entre les pays et contribue à l'instabilité financière dans le monde entier. » - J-P. G. Pourquoi la Chine vient-elle d'appeler à ce que l'on cesse d'utiliser les dollars dans les paiements internationaux? Parce qu'elle a compris que le régime de l'étalon-dollar, mis en place après l'abandon de l'or comme référence internationale, perturbe fondamentalement l'équilibre des transactions économiques entre les pays et contribue à l'instabilité financière dans le monde entier. - J-P. G. Par quel mécanisme? Lorsque les Etats-Unis paient en dollars une importation quelconque, le pays exportateur ne reçoit qu'une promesse de paiement, étant donné que tous les dépôts en dollars ne peuvent pas être ailleurs que dans le système bancaire américain. C'est le cas par exemple des pétrodollars des pays exportateurs de pétrole, dont les banques n'enregistrent à leur actif que l'« image » des dollars déposés dans les banques aux Etats-Unis. - J-P. G. En quoi est-ce problématique? Les Etats-Unis étant un pays importateur net de biens et services, ils ne font aucun réel sacrifice lorsqu'ils paient en dollars leurs importations, car ils ne cèdent rien en échange des produits achetés dans le reste du monde. Il en résulte un écart inflationniste dans les pays qui ont exporté leurs biens et qui ont créé une somme de monnaie nationale se basant sur l'image des dollars qui sont restés aux Etats-Unis. Cette masse de « pétrodollars » ou d'« eurodollars » a d'ailleurs permis aux banques américaines de proposer des crédits très bon marché. C'est de là que vient la propension du peuple américain à vivre entièrement à crédit et la bulle qui a finalement éclaté au grand jour avec la crise des subprime. Cette analyse est révélatrice des enjeux que représente la donne monétaire pour la première puissance mondiale. Cela dit, le processus monétaire, déjà expliqué, porte aussi sur la dépréciation des monnaies des pays exportateurs de pétrole, en cas de crise financière ou monétaire aux Etats-Unis. L'augmentation de l'émission monétaire américaine (augmentation de la base monétaire), par le biais de la hausse des cours du pétrole (facturés en dollars), entraîne une forte demande de dollars par les pays consommateurs de pétrole. L'achat de pétrole entraîne un gonflement des recettes des pays exportateurs de pétrole. Les excédents qui en résultent sont placés surtout aux Etats-Unis, en bons de Trésor, actions, obligations, etc. La FED, le Trésor américain et les banques américaines se trouvent à nouveau pourvus des dollars que les Etats-Unis ont émis. Ces dollars amènent la FED à diminuer l'émission en monnaie banque centrale. Mais, en cas de crise (bulle immobilière, bancaire, boursière...), que se passera-t-il pour les monnaies des pays exportateurs ? Prenons, par exemple, la Russie qui détient plus de 360 milliards de dollars de réserves en devises, ce qui la place au troisième rang mondial. En 2006, elle a levé les dernières restrictions aux opérations de change avec le reste du monde, faisant du rouble une devise pleinement convertible. Entre fin 2008 et début 2009, sa monnaie s'est fortement dépréciée, d'environ 30%, suite aux conséquences de la crise bancaire aux Etats-Unis. De plus, entre novembre 2008 et janvier 2009, la Russie a consacré 110 milliards d'euros à la défense du rouble. C'est dire qu'une perte considérable des réserves se répercute sur la valeur intrinsèque de la monnaie du pays créancier, ou selon le terme de Sergio Rossi, l' « image dégradée » des dollars déposés dans les banques américaines (et européennes) entraîne une dépréciation de la monnaie. Cette dépréciation crée un renchérissement des importations, avec un risque inflationniste pour le pays. Pour l'Algérie, sa monnaie n'étant pas convertible, ne peut être touché que si elle a placé une partie de ses réserves dans les marchés des actions et obligataires (européens, américains, et ailleurs). Pour ce qui est des produits toxiques comme les « subprime », il faut d'abord qu'elle sache réellement dans ses investissements extérieurs qu'elle n'a pas affaire à des « subprime », les places financières mondiales étant inondées. Dans ce cas, la Banque centrale d'Algérie aura enregistré des pertes, au même titre que les autres pays émergents, et le montant dépendra du volume de ses placements à l'étranger. Par contre, si elle a placé ses réserves uniquement en bons de Trésor américains, européens, etc., les pertes sont pratiquement nulles vu la garantie des bons par les Etats. Mis à part, bien entendu, l'impact des fluctuations des taux de change compte tenu du panier de monnaies sur lequel le dinar est ancré, l'Algérie aura alors échappé à la crise bancaire mondiale. Ceci étant, laissons, pour l'instant, l'évolution du cours du dollar et du pétrole qui s'est inversée dès juillet 2008, et intéressons-nous sur le sens des injections massives par la FED. Une deuxième énigme: Où sont passés les milliers de milliards de dollars de pertes financières ? Une deuxième énigme. Quel est le sens des injections monétaires par la FED ? Des centaines de milliards de dollars dans le système bancaire, voire plus d'un millier de millard de dollar, ont été injecté dans le système bancaire, entre août 2007 et février 2008 sur les marchés de l'argent à court terme, sous la forme de prêts de quelques jours aux banques afin de leur éviter tout problème temporaire de financement. La mi-mars 2008, la Réserve fédérale a annoncé qu'elle était disposée à prêter plus de 400 milliards de dollars aux banques. Et cela a continué jusqu'à l'été 2008. La FED a d'ailleurs accepté de prendre davantage de risques: en proposant une durée de ses prêts d'un mois, au lieu de quelques jours, et en acceptant comme garanties des actifs risqués notamment des crédits hypothécaires. Ce qui signifie que si une banque fait faillite durant le mois et ne peut rembourser la Fed, c'est la Banque centrale qui subira la perte. Mais, pour ce point, la Fed n'a autorisé ce mécanisme que pour quelques grandes banques, elle n'accepte que les moins risqués des titres risqués et a réclamé une décote sur les titres qu'elle jugera trop risqués. Une question cependant : concrètement, que signifie la FED a injecté des liquidités dans les circuits bancaires ? Il est clair qu'elle ne les donne pas gratuitement. Dans le cas de la crise immobilière qui sévit depuis 2007, le marché interbancaire fonctionne difficilement. Les banques se méfient des unes des autres, à cause des produits « toxiques », les « subprime », personne ne sait combien l'autre banque en détient et donc ne se prêtent plus d'argent sinon qu'avec une extrême réticence et à des taux très élevés. Et c'est là qu'entre la Banque centrale américains en tant que « prêteur en dernier ressort ». A court de liquidités, les banques se tournent donc vers la FED, puisqu'il n'y a pas de solution. Il y a cependant le marché boursier. Pour se procurer des fonds, les banques se mettent à vendre des actions qu'elles détenaient dans d'autres compartiments du marché financier. Ces ventes entraînent elles-mêmes une baisse générale des cours boursiers. C'est ce qui s'est passé, à chaque fois qu'il y a une crise de liquidités, la panique s'empare des marchés financiers et ces baisses font boule de neige. On comprend pourquoi la chute des bourses, en 2008, ressemblait à la crise de 1929, sauf que, aujourd'hui, c'est étalé dans le temps, grâce à l'action concertée des Banques centrales. Précisément, pour tenter de juguler cette crise bancaire et boursière - causée par la crise immobilière -, les banques centrales ont ce rôle d'assurer des liquidités au système bancaire. Mais comment ces opérations ont-elles lieu ? Ce sont les fameux « appel d'offre » sur le marché interbancaire. Sans rentrer dans le détail, les banques répondent à ces appels d'offre, les liquidités sont servis et la FED prend en gage (on dit « en pension ») des titres, etc. Si les banques disposent des fonds en devise (euros, yen, etc.), l'offre de liquidités est plus simple. Ces titres gagés, et bien entendu sont «sains», non «toxiques» ou « peu risqués », viennent gonfler les avoirs de la FED. Pour cette «offre de liquidités», la FED a élargi sa «base monétaire», il est clair, au prix d'une dépréciation de sa monnaie, qui, comme on l'a vu, grâce à la hausse des cours du pétrole, était circonscrite à des valeurs tolérables. Dès lors que les banques voient leurs fonds propres rognés gravement par les pertes malgré l'apport des liquidités «offertes» par la FED, si ces banques sont en cessation de paiement, elles peuvent soit demander une aide de l'Etat comme AIG, une grande caisse d'assurance, soit une mise sous tutelle comme cela fut pour Fannie Mae et Freddie Mac, deux géants du refinancement hypothécaires américains, soit négocier une fusion avec une autre banque, soit chercher un repreneur (un rachat pour ce qui reste de la banque), soit déposer son bilan (une procédure de faillite). Il est clair qu'en cas de non-remboursement (cas de faillite, etc.) les titres gagés deviennent automatiquement propriété de la FED. De plus, les milliards d'euros, de yens changés par ces banques gonflent les avoirs de la Réserve fédérale. En d'autres termes, si le système bancaire américain est redevable à la FED pour l'offre de liquidités, l'enrichissement de la FED est redevable an système bancaire américain. Mais, ici, dans ce processus, il y a cette question fondamentale, voire une donne stratégique, puisqu'elle rebat les cartes financières du monde. Et c'est celle qu'on a posée auparavant: « Où sont passés les milliers de milliards de dollars ? » Surtout des investisseurs étrangers (Russie, Islande, Irlande, Europe, pays arabes, etc.), où des pertes considérables en dollars ont été enregistrées. Et la question : Qui ? Il est clair que c'est le couple FED-Etat américain. La question : Comment ? C'est l'offre de liquidités sans précédent par l'Asie, et l'usage qu'en a fait l'Amérique pour sa croissance économique. L'offre de liquidités par les pays arabes, même si elle participe à la bulle américaine, entre dans un contexte différent. La question : Pourquoi ? Le système économique et financier américain, étant proche de la faillite, ne pouvait qu'user d'instruments économiques et financiers pour assurer sa croissance économique. Pour l'anecdote, revenons sur un jugement curieux rapporté par la presse, le 15 juillet 2008, quand le sénateur républicain Jim Bunning attaquait le président de la Réserve fédérale des Etats-Unis, Ben Shalom Bernanke, en affirmant que sa proposition prouvait que « le socialisme est bel et bien vivant en Amérique » : « La Fed veut désormais être le régulateur de risque systémique. Mais la Fed est le risque systémique. Accroître le pouvoir de la Fed revient à donner au gamin qui a brisé votre fenêtre en jouant au base-ball dans la rue une batte plus grande, et à considérer que cela résoudra le problème. » De même, on peut comprendre maintenant l'approche de Barry Eichengreen, professeur d'économie et de sciences politiques. On ne peut accuser les uns qui n'ont pas régulé leur système financier sans accuser les autres qui ont accumulé des excédents commerciaux considérables, et de surcroît placés dans le système financier le plus liquide. Un point encore à mentionner, qu'en est-il des fonds souverains des pays émergents ? Plusieurs banques américaines ont fait appel à des fonds souverains chinois et arabes (des pays pétroliers). Les pays arabes du Golfe, détenant des fonds considérables, en s'engouffrant dans une crise qu'ils n'ont pas comprise, ne savaient pas où ils mettaient les pieds. Ils vont l'apprendre à leur dépens en enregistrant des pertes astronomiques Comme l'écrit le journal « Le Monde », le 29 novembre 2008 : « Autre signe de ce repli, ces fonds, qui avaient débarqué sur les places financières comme des éléphants dans un magasin de porcelaine, regimbent aujourd'hui à venir en aide aux banques occidentales en difficulté, même celles dans lesquelles elles ont des participations. » Ces sauveurs, échaudés par les pertes financières, ne pouvaient que procéder à un repli. La chine, qui a déjà accusé des pertes financières dans ses placements auprès de la banque Lehman brothers et probablement dans d'autres, a dû réévaluer les risques, et par conséquent, est restée sur les valeurs sûres tels les bons de Trésor américains. Quant à l'Algérie, dont plus de 90% du secteur financier relève de l'Etat, l'absence de fonds souverains lui a permis d'échapper à la crise bancaire américaine et européenne. Pourquoi la hausse du dollar et la baisse du pétrole après juillet 2008 ? Après la mi-juillet 2008, la situation va s'inverser, le krach de l'immobilier a éclaté, il s'est transformé en crise bancaire américaine puis mondiale. La crise est dans toutes les bouches. Deux questions légitimes qu'on peut se poser : Pourquoi les cours du pétrole se sont inversés à partir de cette date ? Pourquoi Le dollar s'est apprécié ? Tout d'abord, une remarque importante, la crise était déjà visible en 2007, et pourtant la FED a poursuivi une politique monétaire contradictoire. D'un côté, elle injectait des capitaux dans le circuit bancaire américain pour ramener la confiance, de l'autre, elle maintenait le taux d'intérêt court directeur à un niveau tel qu'il ne pouvait qu'assécher les crédits à l'économie (crédit crunch) et amener les ménages américains à avoir les plus grandes difficultés à financer l'achat de leurs logements. Donc à précipiter la crise. Ce n'est que le 18 septembre 2007 que la FED a abaissé son taux directeur d'un demi-point à 4,75%. De septembre 2007 à avril 2008, le taux sera abaissé à 2%. Tandis que le taux directeur de la zone euro sera maintenu à 4%. Deuxième remarque : tout au long des injections monétaires massives, elle a soigneusement évité dans les gages, lors de ses « appels d'offre de liquidités », les produits « toxiques ». Si, à la fin, elle a accepté comme garanties des actifs risqués (crédits hypothécaires), et encore les moins risqués, sans compter les abattements qu'elle réclamait sur les titres, cette dérogation n'avait concerné que quelques grandes banques, dans le but évident de préserver les piliers du système financier américain. Cependant, la méfiance s'est instaurée entre les banques, le marché monétaire interbancaire était paralysé, le recours au « prêteur en dernier ressort » (la FED) était un passage obligé. Au fur et à mesure, que les banques s'alimentaient en liquidités pour répondre aux engagements envers les agents économiques non financiers (dépôts à vue des ménages et des sociétés, dépôts à terme, bons de caisse, livret-épargne, etc.), elles se démunissaient de plus en plus de leurs fonds propres, c'est-à-dire de leurs titres de placements, de participation, de bons de Trésor, etc. qui sont jugés par la FED comme des valeurs sûres. Si les banques n'arrivaient pas à recouvrer les crédits qu'elles ont octroyés dans l'immobilier, ni à tirer des ressources suffisantes des ventes de leurs portefeuilles d'actions vu la chute des cours boursiers, il vient un moment où, n'ayant plus à offrir de gages pour recevoir des liquidités de la FED, elles sont confrontées à une cessation de paiements envers leur clientèle. Les banques qui ont eu moins de pertes comme JP Morgan Chase, Goldman Sachs et d'autres, en tant que piliers du système, aidés par l'Etat, auront un besoin de liquidités moins pressant. La demande de liquidité par le système bancaire va diminuer par manque de gages de valeurs sûres. Et c'est ainsi que la mi-juillet 2008, la situation financière va s'éclaircir, et la crise bancaire devenir franche. Le besoin massif d'injections monétaires par la FED ayant fortement diminué, les banques en difficulté devaient soit se restructurer par des opérations de fusion avec d'autres banques, soit trouver un repreneur, soit chercher un soutien de l'Etat, soit entamer une procédure de faillite. A suivre *Chercheur