N'importe quel régime au monde, fut-il démocratique ou autocratique, aurait montré des signes sinon de panique, du moins de forte inquiétude face au mécontentement social grandissant et au désespoir profond qui s'installent durablement dans la société. Pour autant, rien dans les expressions du président Bouteflika et des membres du gouvernement, réunis lors du dernier Conseil des ministres, ne laissait transparaître que la gravité du moment avait franchi les portes capitonnées des institutions du pays. Il ne manquait plus que les sourires pour donner à cette rencontre, qui s'est tenue dans un contexte extraordinaire, les apparences d'une réunion ordinaire destinée à expédier des affaires courantes. Ce Conseil des ministres aurait dû être un véritable conseil de guerre tant la situation interne, sur tous les fronts, politique, économique et social, est particulièrement explosive et tant aussi les nouvelles des bouleversements politiques historiques qu'a connu la Tunisie et que vit actuellement l'Egypte n'avaient rien de réjouissant pour des dirigeants véritablement en phase et à l'écoute de leur peuple. Mais d'où diable nos dirigeants tiennent-ils donc cette force de conviction, cette quiétude désarmante, ce sang-froid à toute épreuve face aux situations les plus précaires où tous les ingrédients d'une explosion sociale sans précédent sont réunis ? Gouverner, c'est prévoir et apporter à temps les solutions aux préoccupations des citoyens ou, à tout le moins, prendre des engagements fermes dans le sens de leur résolution. Le gouvernement semble avoir opté pour une autre politique, celle de l'autruche. Sinon comment expliquer qu'aucune instance officielle ne se soit réunie – ni le gouvernement ni le Parlement – face à l'urgence des dernières émeutes qui ont failli faire basculer le pays dans le chaos ? L'Algérie d'en haut, à sa tête le président de la République, avait fait le dos rond au moment où le pays était à feu et à sang, laissant les manifestants et les brigades antiémeute dans un face-à-face aux conséquences dramatiques. Le politique a déserté le terrain au profit de la gestion policière de la contestation sociale. Il a fallu attendre plusieurs jours après les émeutes pour que le Conseil des ministres soit convoqué. Pour qu'une déclaration officielle soit rendue publique, dans laquelle le Conseil des ministres s'incline devant la mémoire des victimes, «regrette» les incidents qui se sont produits et annonce une série de mesures diversement appréciées par la classe politique et l'opinion publique de manière générale. Le temps est désormais compté pour Bouteflika avec les changements de régime qui s'enchaînent à la vitesse du son dans notre aire géographique. Il n'y a désormais plus de place pour les réformettes en trompe-l'œil destinées à sauver le système. Qu'est-ce qui explique cette réticence de Bouteflika à approfondir le processus des réformes démocratiques pour ne consentir que quelques petites ouvertures distillées à doses homéopathiques ? Manœuvre ? Cécité politique ? Même le soutien intéressé des capitales occidentales et des Etats-Unis semble aujourd'hui remis en question, plus nuancé, comme on l'a vu avec le régime Moubarak, le meilleur allié arabe des Américains, qui fait les frais de ce nouveau repositionnement face aux régimes arabes.