“Score à la soviétique”, “gouvernance stalinienne” ou encore “normalisation”, jamais sans doute la référence aux méthodes et attributs qui ont fait la réputation de l'empire soviétique n'a meublé le jargon politique de l'opposition démocratique algérienne comme depuis l'intronisation de Abdelaziz Bouteflika à la magistrature suprême en avril 2004 pour un second mandat. Quelque peu dépités, les démocrates, incapables, du reste, de transcender leurs divergences pour constituer une alternative au régime, réalisent, après avoir nourri quelques illusions, au lendemain de la réélection de Bouteflika avec le score que certains avaient qualifié de “nord-coréen”, que le régime est frappé d'une vraie stérilité au sens “biologique” du terme. Même si entre les uns et les autres des nuances d'approche dans la manière de dépasser le système en place ont souvent constitué des points de divergences, il n'en demeure pas moins qu'ils sont unanimes sur la nature foncièrement autoritaire du régime. Entre ceux qui croient à un “changement de régime de l'intérieur” et ceux qui “préconisent un changement de l'extérieur”, il existe un seul point de convergence : le système érigé depuis l'indépendance avec un personnel confit dans la culture uniciste est incapable de s'amender. Il suffit, d'ailleurs, de se référer à quelques rendez-vous organiques des partis ou à quelques sorties médiatiques de certaines personnalités politiques pour apprécier dans leurs discours développés l'idée qu'ils font de la réélection de l'ex-ministre des affaires étrangères sous Boumèdiene et du pouvoir qu'il incarne. “Le pays vit, particulièrement depuis le 8 avril, une crise politique lourde”, confiait au mois de juillet dernier devant des étudiants, lors de l'université d'été du parti, tenue à Aokas, à l'est de Béjaïa, le Dr Saïd Saâdi, président du RCD. En guise de preuves, il avait invoqué “la fermeture et le blocage jamais égalés du champ politique et le recours à l'emprisonnement de journalistes et aux harcèlements policiers et judiciaires contre les segments actifs et sains de la société”. Cette sentence dans laquelle certains y entreverront en filigrane quelques relents de désillusion après l'échec aux élections reste pourtant pour ceux qui connaissent l'homme une conviction chevillée depuis de nombreuses années, même si des circonstances l'ont conduit à une certaine époque à croire dur comme fer que le changement était possible de l'intérieur. Elle sera réitérée d'ailleurs deux mois plus tard à l'université d'été à Tipasa. “Tout le monde convient, dit-il, que l'élection du 8 avril constitue un point de rupture dans la vie politique nationale. Désormais, et c'est salutaire pour l'avenir de la nation, chacun sait qu'il n'existe pas de structure ni de relais organisé dans le système actuel pour initier ou accompagner une évolution en faveur du changement.” Plus explicite, il ajoute, face à une pléiade de convives, dont Ali Benflis, autre candidat malheureux aux élections, Soufiane Djillali, Salah Boubnider et Sid-Ahmed Ghozali, dont le parti, le front démocratique (FD), n'est toujours pas agréé : “Plus personne ne croit à une initiative du pouvoir ou de l'une de ses composantes pour engager une politique de développement fondée sur la liberté et la transparence.” Une vision partagée aussi par Soufiane Djillali : “Depuis le 8 avril, affirme-t-il, le régime veut s'orienter vers la prise en main générale de la société, vers l'instauration d'une classe politique artificielle.” Désabusé par l'échec électoral, l'ex-secrétaire général du FLN n'en suggère pas moins de son côté que les libertés sont désormais plus que jamais menacées. “En tant que militant des libertés, je ne pense pas qu'il puisse y avoir de développement sans les libertés”, affirme-t-il. “Nous avons tous souhaité que ce fut une échéance qui donne pour la première fois l'occasion au pays de faire un premier pas dans le sens de la refondation de l'Etat. Le 8 avril a été la reconduction par d'autres moyens de pratiques passées, c'est-à-dire on a montré que ce système refusait définitivement de s'amender…”, assénait pour sa part l'ex-chef de gouvernement Sid-Ahmed Ghozali, non sans conseiller à la classe politique de faire son mea culpa. Engagé depuis fort longtemps dans une logique de boycott des élections présidentielles, le front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït Ahmed, qui se méfie du régime comme de “la peste” soutient que “le maintien de l'Etat d'urgence avec ses corollaires répressifs, combiné à une prolifération à grande échelle de structures clientélistes de délation, démontre l'obsession maladive du pouvoir à vouloir régenter la société par la négation absolue de toutes les libertés”. “Les journalistes, les syndicalistes, les étudiants, toutes les catégories sociales sont victimes de la persécution”, est-il relevé dans la résolution du dernier conseil national du FFS. S'il est vrai que l'appréciation englobe toute la période qui a suivi l'arrêt du processus électoral en 1991, il n'en demeure pas moins qu'il suggère, à demi-mot, que l'après-8 avril en constitue un prolongement naturel. “L'absence d'une volonté réelle de laisser la libre expression et les conditions de vie insoutenables pour de larges pans de la société constituent autant de facteurs explosifs qui pèsent dangereusement sur la cohésion sociale […]. Depuis quelques années, un type nouveau de gestion des affaires publiques se met insidieusement en place et les aberrations politiques économiques, politiques et sociales deviennent récurrentes. Une gouvernance stalinienne consistant à proclamer des slogans et des principes démocratiques et à pratiquer le contraire dans les faits quotidiens.” Seule dissonance dans le discours des démocrates, cette lecture pour le moins surprenante du MDS. Adepte de Gramsci, lequel décrète sommairement qu'il n'y a crise que lorsque toutes les institutions de l'Etat sont bloquées, le MDS voit paradoxalement dans l'après-8 avril une possibilité de dépasser le régime en place en ce sens que “le système a atteint ses limites”. Autrement dit, le changement lui est imposé autant par la conjoncture internationale que nationale. Mais à l'unanimité, tous soupçonnent des velléités “bonapartistes” chez l'actuel locataire d'El-Mouradia. C'est dire que le chantier s'annonce titanesque pour Bouteflika pour pouvoir s'attirer les sympathies des démocrates. K. K.