Le processus euroméditerranéen de Barcelone célèbre en grande pompe ses dix premières années dans la belle capitale catalane qui l'a vu naître. C'est Francis Ghiles, un journaliste spécialiste bien connu de l'Euromed, qui rappelait en marge du sommet de ce dimanche cette anecdote : « Un jour, dans les années 1960, on a demandé au premier chinois Chou En Laï ce qu'il pensait des résultats de la grande révolution française. Il a répondu que c'était encore trop tôt pour juger. » A l'échelle de la décade, nous serions, donc pour le processus de Barcelone , dans les premières nanosecondes d'un big bang. Difficile de juger en effet. D'autant que, tout le monde s'accorde à le dire, les instruments d'évaluation de la politique européenne en Méditerranée sont très faibles. Grand thème d'impressionnisme moderne, les flux des capitaux : si le montant des investissements directs étrangers (IDE) en provenance d'Europe vers les pays de la rive sud et est de la Méditerranée est connu, il y a une grande difficulté à évaluer les autres mouvements de capitaux. L'évasion de capitaux du sud vers le nord par exemple, de combien est-elle annuellement ? Les chiffres oscillent le simple et le double, et dans tous les cas, se situent au-delà de ce qui vient de l'Europe vers la rive sud. Les rapatriements de devises de la diaspora du sud vivant en Europe ? Là aussi, les évaluations ne sont pas les mêmes au Maroc, les flux utilisent les canaux bancaires et sont estimés à plus de 3 milliards de dollars par an. En Egypte, elles sont plus évasives et en Algérie totalement hors circuit institutionnel, ce qui n'empêche pas le chiffre de 2,5 milliards de dollars annuellement de paraître consécutivement à une étude. Bref, on l'aura compris, le rush des IDE sur la rive sud-Méditerranée ne s'est pas produit tandis que les transferts des émigrés ont permis de compenser en partie un niveau d'évasion de capitaux toujours anormalement élevé. L'exemple d'Orascom a été évoqué par un économiste espagnol fort avisé des questions nord-sud : Orascom a investi au sein d'un consortium de firmes italiennes pour 12 milliards de dollars afin de racheter un groupe italien. C'est supérieur à l'ensemble des investissements du Nord vers le Sud de l'année 2005, si l'on exclut la Turquie. Problème d'évaluation des mouvements de capitaux, mais aussi des impacts des financements de programmes dans le cadre du Méda. L'argent va-t-il bien là où il faut ? Les choix de financements sont-ils opportuns, ont-ils un lien avec les besoins de développement vus par les pays d'accueil ou sont-ils un simple miroir de « l'Agenda des urgences » de l'Union européenne ? Monsieur Méda, le Français Richard Weber, a annoncé à Barcelone un nouveau programme de 10 millions d'euros pour l'information et la communication afin de rendre plus visible ce que fait l'Union européenne en Méditerranée. Les opinions publiques des deux rives ne voient pas l'Euromed. Il a pourtant dix ans et marche sur ses deux pieds. Par contre, tout le monde - sauf encore les Libyens - a fini par tâter du produit européen à taux zéro. Six pays du Sud ont signé depuis Barcelone 1995 un accord d'association avec l'Union européenne. Partie la plus concrète de l'accord, le démantèlement des barrières tarifaires sur une période de douze ans. Après, tout le processus de Barcelone vise à créer une zone de libre-échange autour de la Méditerranée en 2010. Il a aussi, dans sa déclaration de fondation, d'autres objectifs, civiques et libertaires, en dehors de la libre circulation des marchandises et des capitaux, mais tout le monde sait maintenant qu'ils étaient là pour faire de « l'habillage politique » à un texte libre-échangiste. Et cela, nous n'avons pas besoin de la distance historique de Chou En Lai pour en juger.