Dix années après son lancement, le cadre du partenariat euroméditerranéen s'est retrouvé face à son bilan, terne et sans grands desseins. Il en a résulté un sommet raté. Mais peut-être tout de même la chance d'un nouveau départ. Relayé par deux immenses écrans de part et d'autre de l'estrade officielle où se tient la conférence de presse finale du sommet Euromed Barcelone + 10, le grand sourire standard sur le visage de Tony Blair a fini, au fil des minutes, par alourdir le contraste avec celui, furtif et inquiet, de son homologue espagnol José Luis Zapatero. Officiellement « le sommet est un succès » pour l'Union européenne et les quatre conférenciers - José Manuel Barroso le président de la commission européenne et Javier Solana, son ministre des Affaires étrangères sont là aussi - qui se tiennent debout dans cette gigantesque salle numéro une du centre des conventions de Barcelone, se chargent de le faire savoir au monde. En vérité, Barcelone + 10 est bien perçu dans la salle, et au- delà, comme un rendez-vous manqué entre les partenaires des deux rives de la Méditerranée. Et l'écart - manifeste en dépit des efforts - d'enthousiasme qui existe entre les deux leaders britannique et espagnol en est l'aveu final. Le premier, président en exercice de l'Union européenne (UE) est satisfait par « réflexe professionnel » de communicateur, mais aussi parce qu'il pense avoir obtenu à Barcelone un engagement clair des partenaires euroméditerranéens sur les thèmes qui lui tiennent le plus à cœur : la lutte contre le terrorisme et contre l'immigration clandestine. Deux thèmes pour lesquels l'exposition de l'Espagne est telle que son chef du gouvernement aurait pu aussi afficher de la satisfaction, ce que ne manqua tout de même pas d'évoquer José Luis Zapatero lorsqu'il pris la parole. Mais l'Espagne, initiatrice du processus de Barcelone, voulait plus, bien plus avec une relance globale du partenariat Euromed : elle s'est « fracassée », selon les termes du journal de droite Monarchiste ABC, sur les hauts récifs d'un partenariat gagné à ses deux extrémités géographiques par le découragement au sud de la Méditerranée et l'utilitarisme au nord de l'Europe. Belkhadem : « Pour quelques millions d'euros... » Les raisons donc étaient bien nombreuses pour faire de ce Barcelone + 10 un malentendu colossal : le processus de paix d'Oslo, principal fournisseur d'espoir à Barcelone en 1995 s'est bloqué, le 11 septembre 2001 a aggravé le trait, des Etats européens ont envahi l'Irak dans le sillage des Américains, la région s'est enlisée dans l'insécurité, la Libye est redevenue fréquentable mais la Syrie s'est éloignée, les flux de l'immigration subsaharienne ont fait irruption au prix de la mort dans le détroit de Gibraltar ou sur les grillages de Ceuta et de Melilla, et surtout dix nouveaux pays ont rejoint l'UE. Tout cela ne suffit pas pour autant à expliquer la distorsion de vue autour du processus du partenariat euroméditerranéen selon que l'on se place du point de vue de l'Europe ou de celui des pays partenaires méditerranéens (PPM) de l'Europe. Même avec ses différences grinçantes, l'UE est venue en force à Barcelone pour renouveler le partenariat Euromed, aucun des huit chefs d'Etat des PPM arabes n'était présent (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Jordanie, Territoires palestiniens, Liban et Syrie) à l'exclusion de Mahmoud Abbes. Chacun avait sans doute une raison immédiate de ne pas venir à Barcelone, mais le choc de cette absence intégrale montre le poids du désenchantement. Les lectures du bilan des dix années passées apparaissent radicalement différentes. Côté européen, on estime que la mise en place du cadre de Barcelone a aidé à lancer l'espace de libre-échange euroméditerranéen : seule la Syrie n'a pas encore signé un accord d'association avec l'UE. La coopération économique n'est pas brillante mais du point de vue de Bruxelles elle est le seul motif de satisfaction avec la mise en œuvre des politiques de démantèlement tarifaires par les PPM arabes. Barcelone + 10 se doit donc d'aller plus loin et plus vite sur ce front, mais surtout de faire bouger le reste : la réforme institutionnelle et politique. Le statu quo est devenu dans les pays du sud et de l'est méditerranéens dangereusement producteur de radicalisme religieux et de passage à l'acte terroriste. C'est Javier Solana, ministre des Affaires étrangères de l'UE, qui a exprimé cette nécessaire correction de cap en regrettant de ne pas avoir donné la priorité il y a dix ans à la démocratisation des pays arabes « si nous l'avions fait nous n'en serions pas là aujourd'hui ». Du côté des pays partenaires méditerranéens (PPM) l'approche du bilan est un cliché renversé de celui de l'Europe. C'est le partenariat économique qui ne va pas tandis que le reste - la modernisation politique - « doit respecter les rythmes de chaque pays ». Dans le centre des conventions de Barcelone, tout près de la mer Méditerranée, Abdelaziz Belkhadem, chef de la délégation algérienne, a fortement critiqué le fonctionnement de l'accord de Barcelone : « Contre quelques millions d'euros, l'Europe demande aux pays du Sud de se mettre à son niveau » en vue d'une zone de libre-échange devenue improbable à l'horizon 2010 qu'elle s'est fixée. Les niveaux de vie sont restés très fortement inégaux entre les deux rives depuis 1995. L'UE, même lestée par les dix nouveaux arrivants, affiche une moyenne de PNB par habitant de 19 900 dollars en 2003. Elle est la même année de seulement 1800 dollars dans les huit PPM arabes. Le concept de co-prospérité qui a tant fait rêvé à Barcelone en 1995 a du plomb dans l'aile. Et c'est la mollesse « méditerranéenne » de Bruxelles qui a conduit à ce que le quotidien El Pais a appelé le fiasco de Barcelone. Le consensus à l'intérieur de l'Europe des 15 en faveur d'une politique d'intégration des Etats de l'Europe de l'Est était infiniment plus fort que celui qui anime aujourd'hui la nouvelle politique européenne de voisinage dans son volet euroméditerranéen. Les dix nouveaux membres de l'UE ont touché une aide estimée en moyenne à 27 dollars par habitant et par an sur la période 1995-2003, sur la même période les huit pays partenaires méditerranéens arabes ont perçu 1,8 dollars par habitant et par an. 2007-2013, quel sera le budget européen pour la Méditerranée ? Les Européens ne pouvaient pas espérer se faire « pardonner » un tel décalage en venant à Barcelone dix années plus tard pour exiger « en priorité » des pays du sud plus de coopération contre le terrorisme, plus d'efforts pour stopper l'immigration clandestine et plus de célérité dans l'exposition de leur marché à la concurrence de l'extérieur. L'équipe du ministre des Affaires étrangères espagnol Miguel Angel Moratinos a battu les couloirs de la conférence ministérielle et du sommet pour arracher quelque chose - signé de tous - qui laisse une trace de ce Barcelone +10. Le temps dira s'ils l'auront obtenu. Tony Blair a insisté sur le code de conduite au sujet du terrorisme, mais José Luis Zapatero a plus souligné le plan d'action de 5 ans qui été adopté. Il veut élever le partenariat Euromed au rang de « stratégique » que lui a précisé la nouvelle politique européenne de voisinage. Le président français Jacques Chirac qui a tenu une conférence de presse parallèle à celle « officielle » de la présidence européenne, a jeté une pierre dans le jardin de son voisin britannique, champion du malthusianisme budgétaire communautaire, en faisant savoir qu'il avait proposé que deux tiers du prochain budget européen 2007-2013, consacré à la politique européenne de voisinage irait à la zone Euromed. Quel sera ce budget en valeur absolue ? Telle est la vraie question. Barcelone + 10 se propose de le renforcer substantiellement avec le programme Meda 3 (Meda est le programme d'aide européenne aux PPM dans le cadre du partenariat dit de Barcelone) . De 1995 à fin 2004 les dépenses engagées par Bruxelles au titre de l'aide (Meda 1 et 2) des huit PPM arabes en vue de la mise en place de l'espace de libre échange a cumulé à 6,1 milliards d'euros. Le montant est dérisoire mais pire encore seulement, la moitié (3,2 milliards d'euros) de ces engagements a pu être décaissée par Bruxelles. Barcelone + 10 a adopté un train de mesure pour rendre plus efficace la libération des aides (décentralisation, création d'agence Euromed,...) et pas seulement leur augmentation. Le choix des projets de développement à cibler par le prochain programme Meda devra tendanciellement être le résultat d'une délibération avec le pays d'accueil, ses autorités, ses ONG . Les projets sont trop dispersés pour escompter être visibles, encore moins créer un effet d'entraînement. L'Euromed n'existe que trop peu dans les opinions publics des deux rives. Meda 3 tentera d'y remédier. 10 millions d'euros seront consacrés d'ores et déjà à l'information et la communication autour de l'Euromed. Richard Weber directeur de EuropeAID l'organisme créer par Bruxelles en 2001 pour accroître le contrôle sur les projets a fait à Barcelone en marge du sommet , devant un séminaire de journalistes de la Méditerranée, la pédagogie de la méthode européenne « douce » par opposition à la méthode américaine « brutale » en matière d'accompagnement du développement économique et de la modernisation politique : « si les réalisations de Euromed ne sont pas visibles c'est justement par ce qu'elles sont efficaces et travaillent dans le long terme ». Le mot d'ordre des architectes espagnols du sommet est de faire des pays du sud des acteurs complets et non à moitié du partenariat Euromed. Le volet de l'aide n'est cependant pas le plus important aux yeux de quelques pays du sud et cela a été exprimé à Barcelone. Avec 104 millions de dollars entre 1995 et 2004 l'Algérie n'a absorbé que 4% des programmes Meda 1 et 2 en direction des huit PPM arabes. Plus important pour elle est le sort des flux d'investissement directs européens. Barcelone + 10 s'engage a créer, pour la zone Méditerranée une filiale de la Banque européenne d'investissement, si utile au drainage des capitaux vers l'Europe de l'est. Les investissements directs étrangers en provenance de l'UE reçu par la seule Pologne durant les dix années du processus de Barcelone approche le double de ce qu'auront reçu les huit pays arabes concernés par le processus de Barcelone. De même le cadre des accords d'association devrait être renouvelé afin de permettre un accès moins restrictifs aux produits agricoles du sud vers le marché européen, revendication forte du Maroc, de l'Egypte et de la Tunisie. Le message qui restera finalement de Barcelone + 10 est que l'Europe a fortement sous évalué le prix de sa sécurité sur ses frontières sud. Une nouvelle facture lui a été présenté par des émissaires de haut rangs. Elle aura à choisir : payer plus cher ou travailler au changement démocratiques de ses interlocuteurs.