La surprenante révolution tunisienne nous oblige à nous interroger sur nous-mêmes. Le peuple algérien est-il moins courageux ? Quels sont les acteurs qui peuvent faire sortir l'Algérie de sa torpeur ? Comment ? Voyons tout cela dans le détail. Tel un tonnerre dans un ciel serein, le soulèvement du peuple tunisien a surpris plus d'un. Dans leur grande majorité, les Algériens n'auraient guère parié un dinar sur la réussite du «chahut» de nos voisins. Mais la détermination, la bravoure et surtout l'intelligence de ces derniers auront fini par faire plier Ben Ali qui s'est sauvé comme un brigand. Cette déchéance affaiblira tous ses homologues de la région qui commencent déjà à se faire des soucis. En revanche, elle stimulera les peuples opprimés afin de se débarrasser de leurs tyrans. D'ailleurs, après le soulèvement de nos frères tunisiens, voilà venu celui des Egyptiens. Aux dernières nouvelles, Alaâ Moubarak, l'«enfant gâté» ayant préconisé de «frapper l'Algérie à la tête», vient de fuir avec sa maman au royaume de la reine Elisabeth. Cette victoire des Tunisiens produit en nous, Algériens, deux sentiments quelque peu contradictoires : beaucoup de satisfaction et de fierté pour nos voisins ; mais aussi un peu de jalousie. En effet, alors qu'ils sont en train de chasser leurs oppresseurs un par un, nous sommes réduits à supporter les tronches de nos dinosaures, sur l'ENTV, tous les soirs à 20h. Cette situation traumatisante risque de nous créer un complexe d'infériorité qui ne pourra être guéri par aucun psychanalyste. Mais à tête reposée, est-il vraiment opportun de saluer la «victoire» de la révolution du jasmin ? Sans vouloir jouer aux oiseaux de mauvais augure, le succès n'est pas encore acquis pour les Tunisiens. Certes, ils ont remporté une magnifique première mi-temps, mais n'ont pas encore gagné la partie, car le match n'est pas terminé. Dans nos pays sous-développés, il est plus facile de chasser un dictateur que de le remplacer par un régime procurant un bien-être salvateur. Le peuple algérien en sait quelque chose, lui qui fut trahi à maintes reprises par des semeurs des germes du malheur. - 1962. Pendant que le peuple dansait pour célébrer la victoire sur le colonialisme, les «planqués» de la révolution firent un putsch au GPRA pour s'emparer du pouvoir et instaurer un régime dictatorial ; - 1980. Le Printemps berbère fut le premier soulèvement de grande envergure contre l'oppression. - 1988. Le cataclysme du 5 octobre ébranla le régime, car le mouvement était national et concentré sur les symboles de la dictature : parti et syndicat uniques, administrations, entreprises étatiques, etc., la révolution du 5 octobre fait vaciller le système, sans le renverser, ce fut l'ouverture démocratique avec la création de près de soixante «associations à caractère politique» ; l'ouverture de la télévision à tous les Algériens (avec l'avènement de Abdou B.) ; l'organisation de marches pacifiques regroupant plus d'un million de personnes, sans aucun incident notable ; des débats politiques dignes d'un pays démocratique. Puis… l'horreur : des luttes fratricides avec des atrocités étrangères à l'humanité ; des morts évalués par centaines de milliers ; des traumatisés à vie non dénombrés ; une perte de vingt milliards de dollars pour notre économie. C'est le scénario catastrophe à ne pas souhaiter à la révolution du jasmin après la chute du tyran Ben Ali. - 2001. La Kabylie (encore une fois) sera en révolte contre le système durant plusieurs mois. Assurément, le peuple algérien ne doit guère éprouver de complexe d'infériorité envers qui que ce soit, car il réalisa l'une des plus grandes révolutions des temps modernes en triomphant de la 4e puissance du monde ; il ébranla la dictature et son parti unique bien avant la chute du Mur de Berlin. Pourtant, malgré tous ces sacrifices, il est toujours opprimé en ayant pour choix la soumission, la fuite en haraga ; ou la dernière mode : s'immoler par le feu pour attirer l'attention sur son désarroi. Le peuple algérien n'étant pas faible, la raison de cette médiocrité provient-elle de la malchance ou de la malédiction ? En fait, on pourrait citer deux causes possibles, le régime et les élites. 1. C'est le régime qui est «fort». En 1962, il marcha sur les cadavres d'un millier de vrais moudjahidine pour s'emparer du pouvoir ; 1980, il prit le risque de provoquer une guerre civile, en dressant les non Kabyles contre la région de Kabylie ; 1988, il décréta l'état de siège, fait sortir les chars dans les rues et ce fut le carnage : près de cinq cents morts ; 2001, en Kabylie : les responsables restent sourds, malgré plus de cent-vingt morts. Alors que le «doux» ‘‘Zinochet'' abandonna le pouvoir après cinquante victimes ; 2. ce sont les élites qui sont faibles : 1962, elles se sont tues, ont collaboré, se sont exilées ou furent assassinées ; 1980, elles se sont fait acheter ou bien furent divisées ; 1988, les opportunistes ont squatté les symboles de la nation (islamité, berbérité, arabité, révolution, etc.) pour en faire leurs propriétés privées ; 2001, les «chefs» du soulèvement, crédules ou manipulés, exigèrent l'impossible. Le résultat de ces deux fléaux est aujourd'hui connu : une minorité qui s'accapare du pouvoir et des richesses du pays, alors que l'écrasante majorité de la population est abandonnée sur la route du progrès. Que faire face à ce marasme qui s'est emparé de l'Algérie ? Participer au festin avec les vautours, s'exiler, se suicider ou lutter pour instaurer un nouvel état d'esprit. A vrai dire, les «élites» existent dans tous les domaines, mais celles qui sont susceptibles de sauver l'Algérie proviennent des intellectuels et des militaires : les premiers possèdent le savoir et les seconds le pouvoir. A ces qualités, il faut ajouter au moins quatre autres : l'amour de la patrie et de son peuple, le sens de la grandeur de la nation, l'oubli de son intérêt personnel au profit de celui de la collectivité, le leadership ou charisme afin de communiquer les qualités déjà citées à toute la société pour la «faire rêver», comme l'a judicieusement préconisé le docteur Abdelhak Laâmri. Les élites intellectuelles du changement doivent se recruter en priorité auprès des jeunes diplômés qui ne sont pas encore corrompus par la vie : n'oublions pas que la révolution algérienne fut l'œuvre des trentenaires. Le modèle de ces futures élites me semble être Fodil Boumala. Pour cela, il est nécessaire de contacter le maximum d'intellectuels afin de créer un forum pour débattre de notre pays en répondant au moins à ces questions : où est et où va l'Algérie ? Que faut-il faire pour arrêter la descente aux enfers ? Comment ? Avec qui ou quoi ? Quand ? C'est cette mission d'éveilleurs des consciences et de guides pour le progrès qui est, par définition, dévolue aux intellectuels. Cet état d'esprit est inaccessible à nos actuels hommes (ou femmes) «boulitiks», sortis tout droit du film Carnaval fi dechra. En opportunistes, tels des rats après la tempête, ils viennent de sortir de leurs trous afin de s'emparer des fruits de la révolte des jeunes. Quant aux militaires, depuis l'assassinat de Abane Ramdane, ils se sont accaparés le pouvoir pour ne plus le lâcher. Maintenant, certains défendent l'idée d'une «armée républicaine», mais tous les gens sensés savent qui tire les ficelles des marionnettes (pouvoir et opposition) qui s'agitent sur la scène «boulitik». Si, enfin, ils veulent quitter le pouvoir, ils doivent faciliter la transition vers la démocratie en ouvrant, d'abord, les médias publics aux intellectuels compétents, ambitieux, altruistes et surtout honnêtes. Les militaires ne peuvent partir sur la pointe des pieds en abandonnant le pouvoir aux «charlots» sortis de leurs laboratoires. Pour preuve : n'ont-ils pas ramené un candidat (qualifié de «canasson») et qui sera «élu» à la Brejnev par un peuple soumis ? Pour sauvegarder les privilèges du système, l'armée n'a-t-elle pas tiré sur les foules, en 1988, en faisant des centaines de victimes ? En 2001, s'est-elle interposée entre les services de sécurité et les manifestants, comme vient de le faire l'armée tunisienne ? Si cette dernière avait pris la défense du régime de Ben Ali, on aurait dénombré des victimes en grandes quantités et la révolte aurait peut-être été matée. En rendant le pouvoir aux Algériens, notre armée entrera dans l'histoire par la grande porte en réalisant sa révolution pacifique, à l'exemple de celle de la Corée du Sud, de la Grèce, du Portugal, etc. Par la même occasion, en digne héritière de l'ALN, elle parachèvera notre grandiose révolution, en appliquant enfin la résolution ayant coûté la vie à l'architecte du Congrès de la Soummam : «Le civil prime sur le militaire» ; c'est-à-dire, l'intelligence sur la force. En réalisant cet objectif, notre pays sortira de l'animalité (loi du plus fort) pour entrer dans celui de l'humanité (force du droit) où nous avons tant de choses à apprendre et à réaliser, comme les autres peuples civilisés. Inch Allah ! En retour, aucune nation ou organisation (tels les adeptes du débile «Qui tue qui ?» ne pourront faire chanter nos militaires. Car à la moindre alerte, les Algériens, reconnaissants, sortiront dans la rue pour crier à tue-tête : «Armée, peuple, sont avec toi, frère !»