Une personnalité historique du mouvement national (Hocine Aït Ahmed) avait déclaré à l'occasion du 50e anniversaire du GPRA que celui-ci reste à ce jour «le seul gouvernement démocratique», et toute la question consiste à se demander pourquoi l'Algérie indépendante a connu une trajectoire autre dans l'exercice du pouvoir. Faudrait-il en imputer la responsabilité à l'ancien colonisateur qui a tout entrepris pour l'éjecter de la course au pouvoir, notamment en négociant avec lui sans le reconnaître officiellement, ainsi que d'avoir projeté son extinction durant la période transitoire, soit juste après la signature des Accords d'Evian du 18 mars 1962, ou encore et surtout en s'abstenant d'empêcher les déserteurs algériens de l'armée française de rejoindre en force l'armée des frontières à l'approche de l'indépendance. Faudrait-il en trouver l'explication théorique dans la nécessité urgente, pour les dirigeants de l'Algérie indépendante, de privilégier (par pragmatisme) le développement économique au détriment du développement politique, d'autant plus que le «Wilayisme» menaçait alors le pays dans son unité et sa stabilité au lendemain de l'indépendance, où l'Etat restait à construire. Faudrait-il enfin en attribuer la faute à l'absence en Algérie d'une culture démocratique, autant chez les gouvernants que chez les gouvernés, ce qui est le cas de toute société de type transitoire qui, selon le sociologue allemand Max Weber, serait plutôt encline à se soumettre à une forme de légitimité charismatique, où l'exercice du pouvoir aurait tendance à relever, systématiquement, d'une dictature civile ou militaire. L'Algérie avait raté sa transition démocratique du temps du règne du président Chadli Bendjedid qui voulait imposer un régime parlementaire pluraliste dans des circonstances politiques et économiques particulières, notamment marquées par la baisse drastique de la rente pétrolière, où la démocratie apparaissait certes répondre à une exigence extérieure, mais aussi et surtout prendre la forme d'un «produit d'importation» destiné à la consommation locale, faute de pouvoir satisfaire les principaux besoins matériels de la société algérienne. La Constitution de février 1989 devait enfanter une situation qui a donné naissance à une soixantaine de partis politiques agréés, comme si la culture démocratique en Algérie dépendrait plus du nombre que de la qualité des acteurs en compétition électorale, alors qu'il s'agissait en fait d'émietter les forces politiques réelles et artificielles, dans l'objectif de faire perdurer le système politique en place depuis l'indépendance. En outre, il y avait, du côté de l'opposition dite démocratique ou religieuse, des leaders charismatiques qui ont imposé leur légitimé par cooptation, ce qui correspondrait à l'approche sociologique du pouvoir développée par Max Weber, où le système d'allégeance est une règle fondamentale.Or, l'exercice démocratique du pouvoir repose sur des institutions politiques réellement soumises à un Etat de droit, c'est-à-dire celui fondé sur une légitimité dite rationnelle, ce qui permet de développer des contre-pouvoirs performants, en dehors desquels aucune culture politique ne peut émerger ni s'épanouir dans la société. En la matière, l'Algérie est loin du compte, notamment pour avoir été longtemps soumise à un régime politique fondé sur la légitimité charismatique du pouvoir, ce qui a contribué à fermer le jeu politique et à ouvrir la voie à un système d'allégeance, où le clientélisme politique règne en maître, quitte à marginaliser les élites modernes qui ont fait les grandes nations dans les sociétés développées. Ce qui se passe dans les sociétés tunisienne et égyptienne peut être interprété comme une tentative populaire d'accéder à la légitimité rationnelle du pouvoir, après avoir longtemps supporté les méfaits de l'exercice charismatique du pouvoir, dont les dérives despotiques ont fini par pousser à la révolte des gouvernés pacifiques et lettrés. Les autres sociétés arabes, qu'elles soient soumises à la légitimité traditionnelle (de type monarchique) ou charismatique (sous forme d'une dictature civile ou militaire) peuvent être tentées par les syndromes tunisien ou égyptien, ce qui ne saurait laisser dans l'indifférence les gouvernants en place qui découvrent les risques réels ou potentiels liés à un exercice du pouvoir qui va à l'encontre des aspirations populaires. A l'évidence, tous les despotes arabes en exercice redoutent maintenant de subir le même sort tragique que celui qu'a réservé la population tunisienne «éclairée» à son ancien despote «éclairé» qui se croyait «Président à vie» ... En Algérie, la question est de savoir si notre Président actuel irait jusqu'au bout de son troisième mandat, compte tenu du fait qu'aucun Président n'a dépassé à ce jour le seuil de 13 années dans l'exercice du pouvoir, quoique tout est possible avec la baraka des zaouia qui lui sont toutes dévouées. Car il existe une étroite corrélation entre légitimité traditionnelle et légitimité charismatique dans l'exercice du pouvoir, à la différence du passage risqué vers la légitimé rationnelle comme illustré avec la Constitution de février 1989. Notre Président aurait beaucoup à gagner en préparant le passage en douceur de l'Algérie vers son ascension inéluctable à un véritable Etat de droit qui empêcherait les barons de l'informel de faire du lobbying en vue de préserver, à tout prix, leurs privilèges mal acquis, quitte à se servir du désarroi d'une jeunesse profondément nationaliste, comme illustré lors des éliminatoires de la Coupe du monde... La politique qui consiste à fermer le jeu politique et à ouvrir le champ des affaires, y compris louches, s'avère, en définitive, porteuse de risques gravement préjudiciables à notre pays qui veut affronter le défi démocratique «debout» et non pas «à plat ventre» ...