L'Algérie est-elle fidèle aux principes fondateurs de sa république, il y a cinquante ans ? Est-elle suffisamment reconnaissante ? Ces questions et tant d'autres encore ont constitué la trame d'une conférence, riche et très intéressante, animée vendredi dernier en soirée au siège du FFS à Alger par d'éminentes personnalités historiques, à l'image de Abdelhamid Mehri, universitaires, comme l'historien Daho Djerbal, et politiques, représentées notamment par Mouloud Hamrouche à l'occasion du cinquantenaire de la création du GPRA. A cet aréopage s'est joint –ou presque- Hocine Aït Ahmed, par le biais d'une vidéo enregistrée à partir de son exil helvétique. Le nombreux public, aussi divers que les intervenants, a été gratifié d'exposés aussi profonds qu'actualisés, versant parfois dans des commentaires avec la situation actuelle du pays. Daho Djerbal, historien à l'université d'Alger, a d'abord tracé le contexte historique de cet évènement qui a inéluctablement marqué le cours de la guerre d'indépendance. Le conférencier a, dans la foulée de son exposé, alterné l'académique –pour expliquer par exemple la notion de la souveraineté et de l'Etat- et l'histoire. Avec, à la clef, des rappels parfois nouveaux par rapport à ce qui est admis jusque-là. On apprendra ainsi que le Conseil d'Etat français, qui comptait des personnalités ayant joué les premiers rôles dans l'échiquier politique français, à l'image de Michel Debré et Georges Pompidou, avait produit un rapport, en avril 1957, parlant de l'inévitable indépendance de l'Algérie, mais appelant à sauvegarder l'essentiel, c'est-à-dire les intérêts stratégiques de la France. Djerbal rappellera aussi les problèmes que rencontraient les responsables de la révolution, sur le double terrain militaire et politique, en insistant sur le point qui constitue la pomme de discorde entre les responsables politiques et militaires. Un problème qui reste posé, jusqu'à aujourd'hui, selon lui. Ce point a aussi été abordé, avec un peu plus de retenue, par Abdelhamid Mehri, ministre des Affaires nord-africaines dans le premier GPRA (1958-1960) et avec des piques politiques par Hocine Aït Ahmed, président du FFS et ministre d'Etat durant la guerre. Mehri a fait état de divergences profondes entre les membres du CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) et même au sein du CCE (Comité de coordination et d'exécution), organe d'exécution de la révolution. L'ancien dirigeant historique a ainsi indiqué, concernant la création du gouvernement provisoire, que la direction de la révolution était «pratiquement décimée après le fâcheux assassinat de Abane Ramdane». Selon le conférencier, le congrès du CNRA d'août 1957 au Caire a montré d'énormes divergences entre les responsables du FLN. Mais ces divergences, ajoute-t-il, ont pu être surmontées par les impératifs de la lutte. Si des tiraillements ont existé, ce qu'il considère comme normal en cette période, Abdelhamid Mehri ne pense pas moins que la création du GPRA «est un évènement historique» en ce sens qu'elle a permis la réhabilitation de l'Etat algérien dont le caractère républicain a vite été précisé. L'ancien dirigeant du FLN après l'indépendance, qui dit n'être «jamais au pouvoir», regrette que cette date du 19 septembre soit occultée. «Après la crise de 1962, on a phagocyté le GPRA», a-t-il dit amèrement. «Des divergences entre personnes peuvent être comprises, mais pas la déviation de l'Histoire», a dit Mehri qui demande à ce que le 19 septembre soit décrété «journée de la République», parce que, a-t-il expliqué, «l'Etat algérien n'a pas été réhabilité en 1962, mais bien en 1958». La même analyse est partagée par Hocine Aït Ahmed, dont l'intervention a suscité des applaudissements nourris de l'assistance, qui va encore plus loin. S'il considère qu'un anniversaire est une occasion de «rencontres», il pense que cet évènement doit servir de «leçon» pour faire le bilan des années de l'indépendance. Il accuse, à l'occasion, les pouvoirs successifs d'avoir «confisqué» les acquis de la révolution. Aït Ahmed s'est longuement interrogé sur le sort des principes fondateurs de la République, qu'il énumère un à un. «Une secte s'est emparée de l'Etat», a encore ajouté le vieux leader qui ajoute que «l'Etat algérien actuel n'est évidemment pas comparable à l'Etat colonial». Hocine Aït Ahmed s'est aussi interrogé sur les jeunes candidats à l'immigration et l'impression que donnent ces jeunes de perdre la foi en leur pays. Un fait qu'il impute au pouvoir. De toute façon, cette conférence a réussi, en plus de l'évocation d'un événement aussi important que la création du GPRA, à faire rencontrer deux générations. Un motif de satisfaction surtout que Aït Ahmed s'est servi d'un vieux dicton berbère pour clôturer son intervention : «Nuit, quoique tu sois longue, la lumière finira par jaillir.» A. B.