Contrairement aux autres régimes arabes confrontés à l'épreuve du feu de la contestation de la rue – lesquels, dans une vaine tentative de renverser la vapeur, n'ont pas hésité à mobiliser les partis au pouvoir et leur clientèle pour montrer que la confiance populaire leur est toujours acquise – le pouvoir, en Algérie, n'a pas encore jugé nécessaire, en l'état actuel des choses, de sortir cette carte de sa manche. Après Ben Ali en Tunisie, Moubarak et ses baltaguia de sinistre réputation en Egypte, Ali Abdellah Saleh au Yémen, c'est au tour du dirigeant libyen Mouammar El Gueddafi – qui fait face depuis trois jours à un mécontentement populaire à Benghazi, violemment réprimé – de faire sortir ses sympathisants dans la rue. On a vu les conséquences qu'un tel acte plus qu'irresponsable, criminel, a engendré sur la paix civile partout où cette méthode des contre-feux propre aux régimes faibles a été utilisée pour tenter d'éteindre les incendies qui se sont déclarés chez eux. En Algérie, on n'en est pas encore là. Le pouvoir semble gérer avec un certain sang-froid la contestation dans sa formulation politique telle que portée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNDC). Rassuré sans doute – pour l'heure, du moins – par le niveau actuel de mobilisation de l'opposition. Pour le moment, le pouvoir n'a pas encore éprouvé le besoin de s'engager dans la bataille décisive de la rue. Il préfère en découdre avec le mouvement de contestation plutôt par d'autres moyens, plus «soft» politiquement parlant. Par des déclarations et commentaires des responsables de partis politiques de la majorité, mais aussi de l'opposition ou qui s'en réclament, tout en jouant le rôle de porteur d'eau du pouvoir, de la presse publique ainsi que des journaux privés proches du pouvoir. C'est par ces canaux détournés que le pouvoir gère, pour le moment, la contestation aussi bien au plan intérieur que pour les besoins de la consommation internationale. Comme on l'a vu encore ces dernières heures, lorsqu'il fallait répondre aux déclarations des Américains et de certaines capitales européennes qui ont exprimé leur indignation face à la répression policière de la manifestation, samedi dernier, de la CNCD et appelé les autorités algériennes «à la retenue». Alors que l'on attendait des autorités algériennes une réaction ferme, connaissant la susceptibilité du pouvoir sur cette question de la souveraineté nationale, les rares déclarations de réprobation faites sur ces mises en garde de l'étranger sont venues du Parti des travailleurs (PT). Mais si le mouvement de contestation monte en cadence dans les prochains jours, il n'est pas exclu de voir les manifestations de soutien à Bouteflika de la part des partis, des associations avec, en première ligne, les zaouïas et des personnalités évoluant dans le giron du pouvoir, investir avec force la scène publique et politique avec les moyens et la logistique de l'Etat. Jouer la carte de la confrontation des Algériens contre d'autres Algériens est un exercice dangereux, surtout dans un pays où la violence tient lieu de culture politique. Gageons que le faux pas de samedi dernier où les Algériens ont découvert, à une échelle réduite certes, les baltaguia bien de chez nous, ne se répétera pas. Ils n'étaient qu'un petit groupe avec, pour toute arme, leurs slogans pro-Bouteflika. Mais attention ! Les chevaux et les chameaux peuvent ne pas être loin…