Le dossier juridique de l'affaire de l'autoroute Est-Ouest va de rebondissement en rebondissement, impliquant certains et mettant en liberté d'autres. Se rejetant la balle, les belligérants se confondent en déclarations et accusations, niant à chaque fois leur implication dans cette affaire. Le dossier de l'autoroute Est-Ouest ne cesse d'étonner. D'abord par la mise en liberté provisoire de Adou Sid Ahmed, celui qui avait impliqué Salim Hamdan, directeur de la planification au ministère des Transports (en détention), mais aussi par les déclarations de Ammar Ghoul, ainsi que des patrons des entreprises chinoise Citic-CRCC et japonaise Coojal. Ils tirent leur épingle du jeu et enfoncent l'ex-directeur des nouveaux projets de l'Agence nationale des autoroutes (ANA), Mohamed Khelladi. Celui qui a fait éclater l'affaire et impliqué Amar Ghoul. Auditionné par écrit en tant que témoin, le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, a décliné toute responsabilité dans le scandale qui a éclaboussé son département en qualifiant les propos de celui qui l'a incriminé, à savoir Mohamed Khelladi, ex-directeur de l'ANA, de «rumeurs et propos mensongers» visant à «nuire» à sa «réputation». Il l'a carrément enfoncé en affirmant qu'il prenait des décisions sans l'en informer. En fait, les déclarations de Ghoul et celles des patrons de la chinoise Citic-CRCC et de la japonaise Coojal se rejoignent pour orienter l'affaire vers Mohamed Khelladi en tant que représentant de l'Etat. D'ailleurs, la seule plainte qui existe dans le dossier est celle déposée par le ministre contre lui en tant que directeur de l'ANA. Elle a été déposée plus de six mois après l'éclatement du scandale (juste après les accusations de Khelladi portées à son encontre) dans le but de discréditer ses révélations fracassantes sur le scandale. Cette nouvelle tournure vise en réalité à extirper du dossier les noms de personnalités et ministres cités lors des auditions de l'enquête préliminaire et de la première étape de l'instruction. Et la récente mise en liberté de Addou Sid Ahmed, après 13 mois de détention, ne peut qu'obéir à cette logique, surtout lorsqu'on sait que la mesure a été décidée par le juge sans qu'une demande en ce sens n'ait été introduite par sa défense. Ce qui est extrêmement rare chez les magistrats algériens. Addou, faut-il le rappeler, avait fait des révélations très graves à propos du rôle d'intermédiaire qu'il aurait joué entre des sociétés françaises (Egis-route) et M. Ghoul pour l'obtention de marchés de réalisation de l'autoroute. Il aurait révélé devant les officiers du DRS et le juge d'instruction avoir été chargé par M. Ghoul d'aller en France pour prendre attache avec le responsable de Egis-route à Paris, du nom de Kiza, pour lui signifier qu'il devait payer les commissions. Ce dernier, toujours selon Addou, lui aurait révélé que celles-ci avaient déjà été remises à un certain Tayeb Kouidri, richissime homme d'affaires algérien qui a des liens de parenté par alliance avec un militaire haut gradé. L'énigmatique disparition d'un élément-clé du dossier L'homme en question est une véritable énigme. Il a quitté précipitamment le pays, quarante-huit heures après l'arrestation de Mejdoub Chani, en septembre 2009. Il vit actuellement entre Paris et Genève où il a des résidences. Les commissions rogatoires transmises aux officiers de police judiciaire du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), dépendant du ministère de la Défense, pour sa convocation, sont revenues sans résultat. Sa villa, située à Hydra (Alger) est fermée depuis septembre 2009. Pourtant, il est cité comme expert auprès de Chakib Khelil, du défunt Ali Tounsi, de Tayeb Belaïz et de nombreuses institutions du pays. Selon Addou Tadj Eddine (oncle paternel de Sid Ahmed), actuellement en détention, les commissions que Kouidri aurait remises à M. Ghoul auraient permis à Egis de décrocher le marché de maîtrise d'œuvre d'un montant de 60 millions d'euros. Ce que le ministre a démenti dans sa déposition écrite au juge d'instruction. Il a même récusé les déclarations de Khelladi selon lesquelles l'Algérie a payé 8 millions de dollars le kilomètre d'autoroute sans équipement, alors qu'ailleurs la même distance équipée ne dépasse pas le montant de 6 millions de dollars. C'est ce même Addou, libéré par le juge, qui va donner des informations sur les commissions qu'il aurait obtenues auprès de sociétés étrangères en contrepartie des marchés dans le secteur des transports, et ce, grâce à l'aide présumée de Hamdane Salim Rachid, directeur de la planification et de la coordination (actuellement en détention) gendre de l'ex-ambassadeur Ghrieb, nommé récemment dans l'organe de lutte contre la corruption. Deux jeunes femmes ont été entendues comme témoins dans cette affaire du fait que leurs noms ont été cités. Selon le dossier judiciaire, leurs comptes à l'étranger auraient reçu les virements de commissions versées au mari de l'une d'elles, à savoir Salim Hamdan. Dans la foulée, Addou aurait aussi révélé que dans le contrat de suivi et de contrôle du tronçon Est de l'autoroute, il est intervenu au profit de la société italienne Inco, grâce au chef de cabinet du ministre des Travaux publics, Ferrache Belkacem (inculpé) auquel il dit avoir remis une somme de 500 000 DA, les frais de ses vacances en Turquie, et ce, en attendant le versement du reste de sa commission, devant être défalqué du montant de 300 000 dollars qu'il aurait perçu. Il a reconnu avoir été sollicité pour arbitrer un conflit opposant le Groupement mixte des travaux publics (GMTP) composé de l'italienne Pizarotti et de deux autres entreprises, à l'ANA, relatif à la demande du groupe d'augmenter les honoraires estimés entre 10 et 12 millions d'euros. Une mission qu'il va accomplir avec l'aide de Aït Kaci Boudjemâa, un conseiller proche d'un certain Khata, membre du conseil d'administration de la Société de gestion des ports. En contrepartie de ce service, une commission de 5% du montant du marché aurait été remise aux concernés, soit 500 000 euros, dont 30% versés à Addou et le reste partagé entre Khata et Aït Kaci. Un dossier et plusieurs scandales En outre, c'est toujours Addou qui a révélé que dans le cadre de la réalisation du tramway des villes de Constantine et d'Oran, il s'est rapproché du PDG de la société française Alstom, par l'intermédiaire d'un homme d'affaires, Hallab Khaier, en lui promettant une commission de 15% de celle qui lui sera versée. Mais en dépit du fait qu'Alstom ait obtenu le marché, Addou dit ne pas avoir reçu sa part à cause d'un contentieux opposant Khaier à Alstom. Celle-ci s'est opposée à l'association de Khaier au projet. Mieux, Addou Sid Ahmed a affirmé avoir rencontré le patron de l'italienne Astaldi, en 2007, à la même période où il a fait connaissance avec Hamdan. Ce dernier lui aurait fait état de projets non encore rendus publics dans le domaine des transports, notamment ceux du tramway, du chemin de fer ainsi que ceux de l'Entreprise de navigation aérienne (ENA) et de la ligne ferroviaire rapide (LGV 123). Une mine d'informations qu'il a monnayées auprès de nombreuses entreprises, notamment italiennes. Dans le but de mieux négocier la commission avec Alstom, il lui aurait remis la liste des sociétés italiennes intéressées par la réalisation du tramway de Constantine d'un montant de 34 milliards de dinars et transmise par leur ambassade à Alger au ministère des Transports à la demande de ce dernier. Quelque temps plus tard, Alstom et Pizarotti se présentent comme un groupe, à côté de Impreglio, et obtiennent le marché avec respectivement 35 milliards de dinars pour les deux premières et 34,5 milliards de dinars pour la troisième. Addou a déclaré avoir reçu, en mars 2009, 115 000 euros versés par Pizarotti sur le compte de son épouse à BNP Paribas. Il a révélé que Hamdan n'a pu obtenir sa commission, qui devait être transférée en novembre 2009. Selon lui, il aurait obtenu en 2007 la liste des sociétés espagnoles intéressées par la réalisation du tramway d'Oran, d'un montant de 38 milliards de dinars, grâce à Hamdan qu'il l'avait demandée à leur ambassade à Alger. Avec cette liste, Addou a négocié la commission d'obtention du marché (arrêtée à 1%) avec Alstom Isolux Corsan en faisant jouer ses connaissances au sein de Alstom. En février 2009, le groupe obtient le marché. Addou reconnaît avoir remis à Hamdan 12 millions de dinars, mais ce dernier affirme que les sommes perçues par Addou de Alstom Isolux Corsan et du groupe Alstom-Pizarotti représentent la moitié de ce qui a été conclu. Alstom a exigé un moyen plus légal pour transférer les commissions du fait que l'entreprise était en examen en Suisse. Même scénario pour le marché de téléphérique de Oued Koreich. Addou a affirmé avoir reçu des informations sur le projet de Hamdan, qu'il a mis à la disposition d'une société suisse en contrepartie de 240 000 euros. La part revenue à Hamdan aurait été de 11 millions de dinars. Il va parler de nombreuses autres sociétés auprès desquelles il a négocié d'importantes commissions en contrepartie de l'obtention de marchés, entre autres IPF Planege (société portugaise), Razel (française), CMC et Pizarotti (italiennes). C'est dire que les aveux de Addou sont très graves même si, quelque part, il y a une volonté avérée de les vider de toute leur substance.