-Avez-vous des informations sur ce qui se passe actuellement en Libye ? Les services de sécurité libyens, appuyés par des personnes en civil, raflent des centaines de personnes à Benghazi et à Tripoli. La police intervient de nuit comme elle a fait avec le grand homme de littérature Idriss Al Mismari. Il a participé aux manifestations de mardi soir de Benghazi avant d'être arrêté hier matin chez lui. La police a tabassé ses enfants et sa femme. Elle saccagé sa maison. La situation est explosive dans la ville Al Beïda où 300 jeunes ont brûlé le poste de police et dressé des barricades en ville. Selon nos informations, il y a eu plusieurs blessés lors des affrontements. Un jeune de 17 ans aurait été tué par balle par les forces de la répression. Les sbires de El Gueddafi ont peur de la mobilisation pour la journée de la colère. Ils ont maté ceux qui sont sortis manifester pour mieux terroriser la population. Mais cette dernière est déterminée et animée par le courage de la rue tunisienne et égyptienne. -Dans ce climat de terreur, est-ce que les Libyens auront encore le courage de manifester aujourd'hui ? A Benghazi, les familles de prisonniers tués en 1996 dans une fusillade dans la prison d'Abou Salim manifestent chaque samedi depuis des années. Mais loin des caméras du monde. Pour ce 17 février de la colère, on espère que les Libyens seront au rendez-vous de l'histoire pour tourner la page d'un des pires dictateurs de la planète. En 42 ans de pouvoir, il a effacé toute dignité de son peuple. Il a fait d'une nation de six millions d'habitants des aliénés, des gens fliqués, traqués, terrorisés. Mais ce qui est arrivé au Caire va pousser les gens à sortir pour cette journée de mobilisation à l'occasion du cinquième anniversaire du soulèvement de Benghazi. Le 17 février 2006, la police y avait tué 14 personnes, après que des manifestants eurent attaqué le consulat d'Italie pour dénoncer la publication de caricatures du Prophète Mahammed. -Serait-il possible de déboulonner facilement El Gueddafi ? Le régime a mobilisé depuis plusieurs semaines les comités révolutionnaires, la police et des milliers de pro-El Gueddafi pour tuer tout mouvement révolutionnaire. Ici, celui qui appelle à la démocratie est un traître au service de l'Occident. Les administrations ont donné congé à leurs employés pour aller soutenir le colonel. El Gueddafi a même offert aux Libyens l'équivalent de 16 000 francs et une voiture à toute personne qui casse la figure à ceux qui sortiront pour la journée de la colère. Les autorités encouragent les voisins à dénoncer ceux qui lisent les messages de mobilisation sur facebook. L'internet a été coupé pour les particuliers. Désormais il faut aller dans les administrations clandestinement pour poster des messages et des vidéos. Heureusement qu'au sein du régime, des gens veulent le changement. Là, est notre chance. Même si les services secrets ont raflé les personnes qui se connectent sur les réseaux sociaux et ceux qui diffusent les appels à la mobilisation. -La communauté libyenne va-t-elle manifester en Suisse ? Oui, samedi à Genève. Un grand rassemblement est prévu à 14h sur la place des Nations. Aujourd'hui, une grande marche se déroulera à Londres où vit une importante communauté libyenne. On espère que les pays occidentaux, l'Amérique en tête, ne vont pas sacrifier la révolution libyenne au détriment des affaires dans le domaine pétrolier et gazier que leur fait miroiter le dictateur El Gueddafi. -Et les médias étrangers ? Aujourd'hui, il n'y a pas de médias libres en Libye et le régime a interdit à des journalistes d'aller à Benghazi. Ensuite, à la différence de la Tunisie et de l'Egypte, ni Al Jazeera ni CNN ne sont présentes à Tripoli. La révolution aura probablement lieu à huis clos. Et si elle réussit, ce sera un petit miracle. Mais j'ai confiance dans l'envie de changement des Libyens qui scandent : «El Gueddafi dehors, dehors, la Libye enfin libre».