L'ouvrage qui exprime pleinement la pensée de ce grand maître du soufisme du XIIIe siècle. L'homme est quelque chose d'immense. En lui tout est inscrit, mais ce sont les voiles et les ténèbres qui l'empêchent de lire en lui cette science», écrit le poète mystique et maître spirituel persan, Djalal-ud-Dîn Rûmi, fondateur de la tarîqa al Mawlawîya, connue en Occident sous le nom de l'ordre des derviches tourneurs. Signalons que le mot «derviche» tire son origine du mot «derves» qui signifie mendiant en persan. Cette confrérie, fondée en 1273, est réputée pour sa danse spirituelle et giratoire, le «sâma», cosmogonie chorégraphique, puisqu'elle symbolise le mouvement des planètes autour du soleil. Chaque vêtement des danseurs qui exécutent ces danses mystiques revêt une symbolique propre. C'est ainsi que la toque représente la pierre tombale. La robe blanche symbolise le linceul. Le manteau noir renvoie au tombeau. Considéré comme l'un des grands maîtres du soufisme, Djalal-ud-Dîn Rûmi a produit plusieurs œuvres mystiques et philosophiques, dont le fameux Fîhi-Ma-Fîhi (Le Livre du Dedans), ouvrage en prose, traduit en langue française par Eva de Vitray-Meyerovitch qui fut une éminente spécialiste du soufisme. Cet ouvrage a été récemment réédité par Actes Sud*. Selon la traductrice, il existe cinq manuscrits de cette œuvre. Le premier, connu sous le nom de «asl» (origine), est le plus ancien. Il compte 216 feuillets, soit 410 pages. Cette version comprend Fîhi -Ma-fîhi, lequel s'achève à la page 193 et le Kitâb al-Ma'ârif (Livre des connaissances) de Sultân Walad, le fils de Djalal-ud-Dîn-Rûmi. La date inscrite sur le colophon (1316) laisse supposer que ce manuscrit a été rédigé quarante-quatre ans après le décès du maître. Le second manuscrit, intitulé Asrâr ul-Djalalîya (Les secrets de Djalal-ud-Dîn Rûmi), est connu sous le nom de Ha. Il date de 1370, soit soixante-dix années après la mort du maître. Cette version ne comporte pas le Ma'ârif de son fils, mais un ensemble de ghazals et de quatrains de Djalal-ud-Dîn Rûmi. Les ghazals sont des poèmes louant l'amour d'une femme et, ce genre poétique, apparu dans la poésie arabe, était très répandu en Perse. Ces deux manuscrits sont considérés comme des pièces authentiques. Ils sont conservés à la bibliothèque Fatîh à Istanbul. Ils ont été copiés sur un manuscrit. Le premier a été écrit par un scribe et le second, copié chez le Maître de Konya. Le troisième manuscrit n'est pas daté. On le situe vers la fin du XIIIe siècle de l'Hégire (fin du XIVe siècle). Il se trouve à Istanbul, à la bibliothèque Sulemanyé. Le quatrième manuscrit est conservé à la bibliothèque nationale de Téhéran. Il date du milieu du XVe siècle. Quant au cinquième manuscrit, le seul se trouvant dans une collection privée, il appartient au professeur Badî' uz-Zamân Forûzanfar qui l'a édité à Téhéran en 1952. Cette version a été écrite en 888 de l'Hégire. C'est dans le premier manuscrit que figure le titre Fîhi-Mâ-Fîhi. Cette expression, qui est composée de trois mots tirés d'un quatrain du poète mystique Ibn-al'Arabi, peut accepter plusieurs traductions : «Cela recèle ce que cela recèle» ; «Il contient ce qu'il contient» ; «Tout y est» ; «Dans cela ce qui est là»... Cette expression renvoie à un sens principal : l'idée de l'existence d'une énigme, d'un mystère, d'un secret qu'il convient de découvrir sous la brume des mots. Ainsi, le maître recommande d'aller au-delà des apparences, de se perdre dans les profondeurs des mots et des idées, afin de déchiffrer leur sens dissimulé et profond. A la lumière de cette démarche, le maître, qui se propose de transmettre un enseignement, a une fonction essentiellement incitative, puisqu'il vise, par son approche, à réveiller la curiosité de l'homme et de l'encourager à se perdre dans les profondeurs des textes qui recèlent un enseignement spirituel. Tout au long de l'entreprise que constitue cet effort de concentration, de réceptivité et de compréhension, la parole joue un rôle primordial, car elle ouvre la voie et facilite la prise de conscience. Pour Djalâl-ud-Dîn Rûmi, son rôle est essentiellement didactique. Il vise avant tout à éveiller les âmes endormies. C'est pourquoi, l'idée d'effort est fondamentale, car elle permet de réfléchir, de chercher pour comprendre, trouver et se transcender. Ainsi, du point de vue du maître spirituel, ses facéties... sont un enseignement. Elles sont destinées à diriger le peuple et à lui faire comprendre sa pensée. Les enseignements prodigués tout au long de Fîhi-Mâ-Fîhi s'inspirent principalement de deux sources : le Coran et les Hadîth. Cet ouvrage, structuré en deux parties, se caractérise par l'absence d'unité thématique et de continuité entre les sujets abordés. La première partie compte 272 pages. La seconde comprend 123 pages. Rédigé en prose, il se présente sous forme de réflexions sur divers sujets, de recueil de citations, de proverbes, de propos du maître, d'anecdotes, de lettres, d'entretiens du maître avec ses disciples ou d'autres personnages sous forme de questions posées. Les propos de Djalâl-ud-Dîn Rûmi ont été recueillis par son fils, Sultân Walad, qui a endossé le rôle de scribe. Fîhi-Mâ-Fîhi traite de plusieurs thèmes mystiques, philosophiques et autres : la mort, l'amour, la recherche mystique, la prière, la souffrance, la nature, l'Homme, le mal, le bien, l'absence, etc. A travers ces écrits, Djalâl-ud-Dîn Rûmi fait souvent référence aux conflits qu'il avait avec des ulémas qui critiquaient la tarîiqa al Mawlawiya. A ces individus, le maître avait sereinement répondu : «Si les chemins sont différents, le but est unique. Ne sais-tu pas que plusieurs chemins mènent à la Ka'ba ?» Bien qu'écrits à une époque bien lointaine, les écrits de Djalâl-ud-Dîn Rûmi revêtent une dimension intemporelle, car ils ont pour objet principal l'homme et le souci constant d'éveiller les âmes et d'impulser une démarche qui incite à la recherche d'une méthode spirituelle pour aboutir à une union parfaite avec Dieu. La pensée de ce maître d'éveil, qui joue le rôle de directeur spirituel et qui prône l'ouverture d'esprit et la tolérance, est porteuse d'un message universel qui enseigne l'amour, l'authenticité, la pureté de l'âme, transcendant ainsi les appartenances religieuses, ethniques, nationales et autres. Djalâl-ud-Dîn Rûmi est un auteur philosophe et mystique incontournable. Se familiariser avec sa pensée, ses idées, ses conseils, c'est apprendre à accéder à la connaissance intérieure cachée, dans le but de trouver sa voie et d'être en paix avec soi et le monde environnant. Nadia Agsous
Rumi, Le livre du Dedans, Fîhi-Ma-Fîhi, traduit du persan, présenté et annoté par Eva de Vitray-Meyerovitch, Ed. Actes Sud, Coll. Babel n°1036, nov. 2010, 313 p.